Livre en accès libre en intégralité

depuis le 22 Février 2018 sous licence creative commons by-sa, conformément au contrat entre les auteurs et les éditons Asted.

Nous avons négocié ces conditions avec notre éditeur de manière à ce que les idées proposées dans ce livre soient accessibles au plus grand nombre et puissent polliniser vers l’infini, et au delà ! 😉


Droits d’usages

Vous êtes autorisé à :

  • Partager — copier, distribuer et communiquer le matériel par tous moyens et sous tous formats
  • Adapter — remixer, transformer et créer à partir du matériel pour toute utilisation, y compris commerciale

Selon les conditions suivantes :

  • Attribution — Vous devez créditer l’Œuvre, intégrer un lien vers la licence et indiquer si des modifications ont été effectuées à l’Oeuvre. Vous devez indiquer ces informations par tous les moyens raisonnables, sans toutefois suggérer que l’Offrant vous soutient ou soutient la façon dont vous avez utilisé son Oeuvre.
  • Partage dans les Mêmes Conditions — Dans le cas où vous effectuez un remix, que vous transformez, ou créez à partir du matériel composant l’Oeuvre originale, vous devez diffuser l’Oeuvre modifiée dans les même conditions, c’est à dire avec la même licence avec laquelle l’Oeuvre originale a été diffusée.


Dédicace

Ce livre est dédié à la mémoire de Bertrand Calenge, conservateur des bibliothèques et praticien-chercheur des bibliothèques pour la pertinence constante de ses analyses et pour les commentaires numériques bienveillants tout au long du processus d’élaboration des idées directrices de ce livre.

Il est dédié également à Jenny Rigaud qui nous a permis de développer des formations à la médiation numérique des savoirs et qui a toujours su nous soutenir et nous accompagner avec la principale qualité qui est celle du fonctionnaire efficace : l’opiniâtreté.

Il est enfin dédié à tous les bibliothécaires qui expérimentent, qui cherchent, qui recommandent et qui sont autant de rêveurs professionnels… ou de crapauds fous!


Ce que le numérique fait à la circulation des contenus et des idées

Qu’appelle-t-on « communs » (de la connaissance)?

Bibliothèques et communs de la connaissance

Le paradigme de la longue traîne et l’enjeu de la recommandation

Pour en finir avec le tropisme de la collection dans l’univers numérique

Médiations et capacitations en communs

Médiation numérique des savoirs : définition

La médiation numérique des savoirs n’est pas du marketing

En finir avec la recherche d’une autonomie de l’individu

La médiation numérique des savoirs n’est pas la médiation du numérique

Bibliothèques et innovation sociale

De l’accès à l’information à la « mise en capacité »


2. Mettre en œuvre un projet de médiation numérique des savoirs

Qu’appelle-t-on un dispositif de médiation numérique des savoirs ?

Une typologie des dispositifs de médiation numérique

Dispositifs de flux

Dispositifs ponctuels

Dispositifs passerelles

Des dispositifs de médiation participatifs et inclusifs

Quelles identités numériques pour une bibliothèque?

Identité institutionnelle

Identité de service

Identité média-thématique

Identité de personnes-ressources

Quel positionnement stratégique adopter?

Organiser un projet de médiation numérique des savoirs

La pyramide d’un projet de médiation numérique des savoirs et sa matrice

Organiser le projet éditorial

Bibliothécaire et journaliste : une convergence de projet?

Organiser la chaîne éditoriale : organiser le cadre éditorial de la médiation des savoirs?


3. Accompagner un projet de médiation numérique au sein d’un équipement ou d’une équipe

Des compétences au service de l’expertise en contenu

Un indispensable accompagnement vers une culture numérique professionnelle

La formation interne comme propulseur de projet et de l’expertise interne

Encourager une veille collaborative

Encourager la pollinisation des savoirs


4. Conclusion

Partons des usages. Dès mars 2010, le trafic cumulé sur Facebook a dépassé celui de Google sur une semaine aux États-Unis[1]. Confirmée par la suite, la tendance illustre un mouvement fondamental du Web d’aujourd’hui : le passage d’un Web de la requête à un Web du flux. Le réseau social au milliard de membres devient une porte d’entrée toujours plus fréquentée du Web social. À une pratique où la requête dans un moteur de recherche est l’acte initial, s’ajoute celle de la navigation à partir de recommandations issues d’un cercle relationnel. Ce mode d’accès à l’information devient massif et pour bon nombre d’internautes la porte d’entrée sur le Web s’appelle Facebook. C’est sur ce cercle des « amis » ou des pages auxquelles chaque membre de Facebook s’abonne que s’applique l’algorithme du EdgeRank. Celui-ci organise l’accès à l’information en fonction de divers critères, notamment l’affinité entre deux profils, calculée en fonction de la régularité des échanges et d’un facteur temps. Pour qualifier cette logique de l’offre et non de la demande, le chercheur en science de l’information Olivier Ertzscheid emploie le terme de « floating[2] » (littéralement « flottement ») défini comme :

Une navigation flottante, c’est-à-dire non orientée, ni par l’adéquation entre un besoin exprimé et des contenus y répondant (« searching ») ni par un parcours volontariste de recherche (« browsing »). Une navigation flottante sappuyant sur les seuls remous de la houle des signalements effectués par dautres, et avec comme seule cardinalité, comme seul « horizon » de navigation, le fait que jaie (ou non) à un moment donné fait le choix d’agréger ces « autres » au sein de mon panoptique personnel. [C’est-à-dire] l’ensemble des outils fonctionnant comme autant de tableaux de bord quotidiens nous permettant de nous informer du monde comme il va : Twitter, Facebook et mon agrégateur RSS sont ainsi les 3 composantes de base de mon panoptique personnel.

S’il nous faut contribuer à des apprentissages d’accès à l’information par la recherche documentaire dans le Web de la requête, pourquoi alors ne pas apprendre à se positionner dans le Web des flux? Sur des territoires numériques, il devient possible de contribuer à favoriser des « trouvailles » ou de provoquer des « sagacités accidentelles ».

Prenant le contre-pied des premières théories des usages d’Internet, qui prophétisaient l’émergence de communautés étroitement liées par des idéaux communs ou des objectifs politiques précis, Christophe Aguiton et Dominique Cardon[3] affirment que ce qui fait la particularité du Web social est précisément l’articulation de liens faibles dont la multiplication fait émerger une dynamique collective. Comme l’expliquent les deux sociologues, les motivations des internautes évoluent au fil de leur implication dans les activités en ligne, passant de l’expression individuelle au dialogue, puis à l’échange d’opinions et de contenus, dans un processus favorisant le partage de connaissances et l’élaboration d’un savoir commun, l’effet collectif nécessitant, pour émerger, un grand nombre de contributions individuelles. La communauté, en ce sens, n’est pas un présupposé de l’interaction, mais bien au contraire un produit de celle-ci :

« Les coopérations faibles se caractérisent par la formation opportunistede liens et de collectifs qui ne présupposent pas, préalablement, dintentionnalité collective ou dappartenance communautaire”. » Ce sont donc des relations qui « favorisent une dynamique de bien commun à partir de logiques d’intérêt personnel ».

Qu’on ne s’y trompe pas, les « amis » en ligne sont quelque part entre les proches (liens forts) et le cercle large des connaissances (liens faibles). À cet égard, les médias sociaux ne sont ni une manière de s’exposer sans retenue ni une manière tout aussi fantasmée de rencontrer tous les jours des inconnus à l’autre bout de la planète. Entre les deux s’ouvre l’espace des communautés d’intérêts dont le moteur est la recommandation et le partage d’informations en tout genre. Les « amis » plus ou moins lointains constituent autant de pourvoyeurs d’information dans un écosystème personnalisé. Dans ce que d’aucuns dénoncent avec mépris comme un bavardage vain — ou un bruit informationnel s’opposant au monde réglé des collections sélectionnées —, nous préférons voir de formidables occasions de provoquer des connexions et de développer un esprit critique en réseau. Les médias sociaux et l’Internet de la participation font l’objet de deux discours coexistants explicités par Dominique Cardon[4] :

Pour les tenants dune lecture biopolitique, inspirée de Michel Foucault, une nouvelle forme de domination sinstaure, qui met les goûts, les conversations ou lamitié dans lhorizon du calcul et de la marchandise. Si chacun devient « entrepreneur de soi », la libération de la parole, le travail bénévole et la coopération, si autonomes et spontanés semblent-ils, servent en fait un projet néolibéral visant à produire un sujet flexible, automotivé et performant.

Partant d’un même constat, la lecture par la pollinisation propose une tout autre interprétation. Prenant appui sur la conceptualisation de la notion de « multitudes » développée par Michael Hardt et Toni Negri[5], elle conçoit la coopération entre individus singuliers comme antérieure et immanente aux relations humaines. De sorte que ce n’est pas le capitalisme qui cherche à encourager et exploiter les facultés créatives et coopératives des individus, mais au contraire une puissance commune qui déborde et conteste constamment son appropriation par les institutions. À l’instar des abeilles, qui en menant leurs activités pour le compte de leur propre ruche contribuent à la pollinisation de l’ensemble de leur écosystème, les coopérations sur Internet produisent des externalités positives pour l’ensemble de la collectivité : une intelligence collective, des communs qui ne peuvent être appropriés par l’État ou le marché, de nouvelles formes d’échanges culturels.

Nous nous situons dans une lecture pollinisatrice de l’Internet. De fait, le vecteur le plus efficace de la diffusion des idées est connu depuis les années 1950 : il s’agit du bouche-à-oreille, de la recommandation, celle des « leaders d’opinions[6] » ou de relais d’opinions. Paul Lazarsfeld, sociologue américain, a mis en évidence le fait que quelques individus ont un niveau d’implication plus élevé pour des catégories de produits que d’autres et sont plus expressifs de leurs opinions aux autres. Ce sont eux qui favorisent la circulation des idées[7]. Nous croyons dans la force du bouche-à-oreille et la capacité des politiques publiques à en faire un outil de diffusion des savoirs et des savoir-faire. Notre propos est ici de nous inscrire et de développer le repositionnement effectué par Bertrand Calenge, clairvoyant jusqu’à la fin de sa vie concernant le rôle des bibliothèques[8] :

Je propose dabandonner la priorité donnée à la mise à disposition de linformation documentaire, pour se centrer plutôt sur le soutien au partage des savoirs ou des connaissances : « Quand jexternalise quelque chose, cest de linformation. Quand quelquun se lapproprie de quelque façon, cela devient connaissance. La connaissance est essentiellement mise en relation, en connexion. » L’objectif bibliothécaire devient alors non seulement de traiter linformation (encore quil faille maîtriser bien des techniques et du savoir-faire pour accéder à ces morceaux de savoir disséminés), mais aussi, et surtout de faciliter pour le public lappropriation de ces éléments multiformes, porteurs potentiels de savoirs, pour quils deviennent pour lui connaissances. La bibliothèque aurait ainsi pour fonction daccroître les connaissances dune population en fonction de ses besoins, de ses pratiques, de son niveau dexpertise. Et cest ce que jappelle médiation des connaissances. Des connaissances vivantes, et non des stocks dinformations.

Pour comprendre comment s’opère ce repositionnement et situer ce que nous appelons la médiation numérique des savoirs, il nous faut comprendre comment l’information numérique change le rapport aux savoirs en prenant pour point d’appui la notion de commun de la connaissance qui nous semble au cœur de ces mutations.

Pour comprendre la notion de commun de la connaissance, il faut déjà appréhender celle de communs. Au cœur des communs, il y a trois éléments indissociables : une ressource, une communauté de personnes et des règles d’organisation. Le caractère commun ou non d’un bien se définit en fonction de son régime de partage, de son accès et de sa circulation. Un jardin, par exemple, peut être géré comme un service public, appartenir à une personne privée ou être géré en commun, c’est-à-dire selon des règles définies par un collectif de jardiniers amateurs.

Les communs ne constituent pas une catégorie figée, mais peuvent avoir des configurations variables sans toujours être strictement publics ou strictement privés. Le jardin partagé peut ainsi être mis à disposition par l’État et géré par des citoyens qui peuvent y produire des légumes pour les vendre et financer l’entretien du jardin. Le mode d’organisation des jardiniers amateurs peut être associatif (association selon la Loi de 1901 en France par exemple), mais ce n’est qu’une des formes juridiques de la gouvernance des biens communs, c’est-à-dire des règles déterminées collectivement.

Il faut prévenir une confusion assez régulière. Les (biens) communs ne sont pas le bien commun! Proche de la notion d’intérêt général, le bien commun est un objectif de bien-être global qui oriente l’action des services publics, mais qui n’implique pas forcément de règles pour une ressource. Ainsi, la justice doit être organisée par des règles collectives sans pour autant relever de l’entretien d’une ressource matérielle ou immatérielle.

Doit-on dire « biens communs » ou « communs »? Certains emploient le terme de « communs » seul. Ils y voient un avantage par rapport au terme de « bien commun », car en se séparant du « bien », au cœur des modèles marchands, on dissocie la ressource d’une possible destinée commerciale. En français on parle de plus en plus de « communs » tout court (parfois avec une majuscule) et les Anglo-saxons parlent de commons, de commoners pour désigner ceux qui sont impliqués dans les communs. Ils emploient aussi commoning pour désigner l’activité de pratiquer les communs.

Au sein du triptyque « communauté, règle et ressource », la notion de biens communs donne pour certains trop d’importance à la ressource. Passer de « biens communs » à « communs », c’est prendre du recul sur la pensée d’Elinor Ostrom[9] qui, en obtenant le prix Nobel d’économie en 2009, a donné une visibilité mondiale à la notion. Ses travaux portaient sur les common-pool resources, qui correspondent seulement à certains types de biens ayant des caractéristiques données. Or, n’importe quelle ressource peut être mise en commun, si une communauté le décide. Il n’y a pas de ressource qui aurait intrinsèquement des caractères la prédisposant à être gérée en commun. L’ouvrage qui va le plus loin dans cette logique est celui de Pierre Dardot et Christian Laval[10], qui appellent explicitement à ne plus employer le terme de « biens communs » pour passer aux « communs ». Pour eux, l’important est la dynamique politique autour de la ressource et aucune ressource ne serait commune par nature. Le livre de Jeremy Rifkin La nouvelle société du coût marginal zéro : lInternet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme[11] aborde les communs avec la traduction « communaux collaboratifs », replaçant ainsi les communs dans leur filiation historique.

À la source des (biens) communs, il y a donc des expériences à rebours de l’individualisme des sociétés contemporaines et de l’idée d’une frontière étanche entre marchand et non marchand. Peut-être est-ce pour cette raison qu’ils sont la plupart du temps invisibles, comme le souligne Pablo Servigne[12], en listant les obstacles qui empêchent une bonne compréhension des communs.

Lorsqu’une ressource bascule d’un statut de commun à un statut de bien strictement privé, on parle d’enclosure. Une enclosure ou une clôture c’est l’action de clore quelque chose, c’est poser une frontière. Cette notion fait référence à la théorie des biens communs; elle est le plus souvent synonyme d’appropriation. Celle-ci peut être marchande (p. ex., les multinationales de l’eau) ou alors étatique (confiscation de terres, déplacement de populations) ou encore juridique (brevetage du vivant). Dans le domaine de l’information, clore revient à poser une frontière artificielle alors que l’ADN du numérique est de permettre le stockage et la dissémination à très bas coûts des biens informationnels qui sont par nature non rivaux, c’est-à-dire accessibles simultanément par plusieurs personnes.

L’information peut-être un commun de la connaissance. Pour cela, il faut non seulement qu’elle puisse circuler, mais aussi qu’elle s’inscrive dans ces principes proposés par David Bollier dans Libres Savoirs[13] :

  • Maintenance d’une ressource sur le long terme;
  • Accès équitable et bénéfique pour un usage individuel (et non marchand) des commoners;
  • Transparence et responsabilité au sein des commoners;
  • Capacité à identifier et à punir les passagers clandestins, le vandalisme et les appropriations;
  • Capacité à déterminer si la ressource doit être aliénée en vue d’un usage marchand ou non.

Autrement dit, ce qui est important c’est le caractère appropriable et réutilisable de l’information au sein d’une communauté. D’abord expérimenté pour la gestion des biens matériels, l’avènement du numérique provoque un nouveau « mouvement des communs ». Né d’initiatives universitaires et d’emblée placé sous un régime collaboratif distinct de la propriété privée, Internet est lui-même un commun et un socle fondamental sur lequel des communs numériques peuvent se déployer. Conjugué au mouvement des logiciels libres qui implique que le code source des logiciels soit partageable et appropriable par ses utilisateurs, Internet permet à tout un chacun de créer et de faire circuler à un coût très faible des biens immatériels : messages, articles, vidéos, photos, musique, code source, etc. Ceux-ci deviennent des biens communs lorsqu’ils sont volontairement placés sous un régime qui permet une régulation ouverte des usages. C’est le rôle des licences que chaque individu ou collectif peut librement utiliser pour déclarer les usages autorisés des ressources immatérielles qu’il crée ou modifie.

Quand en 1989 Richard Stallman crée la première Licence publique générale GNU[14], il prend le contre-pied du copyright qui interdit par défaut toute réutilisation. Au contraire, le copyleft donne des droits et des devoirs aux utilisateurs de manière à s’appuyer sur la créativité des collectifs au lieu de considérer les internautes comme de simples consommateurs. La règle de la licence publique générale GNU implique en effet de partager les améliorations apportées à un logiciel, c’est-à-dire à remettre dans le « pot commun » ce qui y a été puisé. Cette innovation juridique majeure permet le développement de communs qui sont ouverts, même si les compétences des développeurs de logiciels peuvent être commercialisées. L’objet d’une transaction n’est donc plus le bien lui-même, mais les compétences qui en permettent l’amélioration dans un espace intermédiaire entre le marchand et le non marchand, au service de la ressource « logiciel libre ». Quand en 2001 Lawrence Lessig crée les licences Creative Commons[15] pour les « contenus » — au-delà des logiciels — il propose une clause de partage à l’identique qui s’appuie sur la même idée. Selon cette clause, si un contenu est modifié, celui qui crée un nouveau contenu doit obligatoirement rendre modifiable selon ces mêmes conditions ce qui a été créé. Là encore, les usages commerciaux sont possibles à condition de maintenir la possibilité d’une réappropriation par d’autres de la ressource initiale. On estime aujourd’hui que plus de 400 millions d’œuvres sont placées sous le régime des Creative Commons[16]. La figure ci-après[17] explicite les différentes licences Creative Commons en fonction de leur degré d’ouverture.

Figure 1. Licences Creative Commons par degré d’ouverture

Un des communs les plus emblématiques de ces communs numériques, que l’on qualifie de communs de la connaissance, est Wikipédia, l’encyclopédie collaborative créée en 2001. Fort de plus de 17 millions d’articles dans près de 270 langues — de l’anglais au français en passant par l’arabe, l’espagnol, l’occitan, le swahili ou le groenlandais — et dans tous les domaines — histoire, arts, culture, sciences, événements, géographie, religions, biographies, etc. —, le site revendique aujourd’hui la cinquième place du site Web le plus consulté au monde[18]. Juridiquement, le fait que Wikipédia soit placée sous la licence CC BY-SA[19] consacre et protège sa nature de bien commun, en empêchant par la clause de partage à l’identique que les contenus fassent l’objet de nouvelles enclosures. Il est donc impossible de racheter les contenus de Wikipédia pour les vendre de manière exclusive, ce qui n’empêche en rien de proposer des services payants à partir de Wikipédia.

Ce mouvement d’ouverture permettant la circulation d’œuvres, de codes informatiques, d’idées ou de données est engagé à l’échelle planétaire, alors même qu’un contre-mouvement visant à imposer des enclosures se développe. Car le numérique crée un contexte radicalement nouveau qui cristallise les oppositions entre des ayants droit soucieux de préserver des modèles industriels prénumériques (contrôle des accès, mesures de protection technique empêchant la copie [DRM]) et des usagers utilisant les nouveaux moyens techniques à leur disposition pour échanger librement des œuvres, des contenus, des idées comme nous l’avons expliqué au précédemment. Dans ce contexte, les professionnels des bibliothèques doivent faire des choix : construire des collections qui sont autant de mondes enclos ou tenter de développer une culture de l’information dans les mondes ouverts du Web?

On le voit, les communs contribuent à interroger des logiques d’exclusivités sans pour autant nier l’existence de logiques marchandes. Les représentants des industries créatives affirment que le principal intérêt du droit de propriété intellectuelle est d’inciter les créateurs à créer tout en leur permettant de prouver leur utilité marchande. Or, en 2013, la ministre de la Culture et de la Communication de la France a proposé une mission sur les échanges non marchands[20] et sur les usages transformatifs largement propagés par le numérique (montages, détournements, compilations, mashups, etc.). Il s’agit d’examiner l’idée d’une complémentarité entre le dynamisme des communautés d’amateurs en ligne (dont les activités sont illégales aujourd’hui quand elles échangent des œuvres sous droit) et la santé économique du secteur. Et si les industries créatives avaient un intérêt économique à permettre la réutilisation sous certaines conditions à des contenus des artistes qu’elles soutiennent? Et s’il fallait reconnaître l’existence de pratiques amateurs à visée non marchande, à grande échelle?

En résumé, si les trois traits constitutifs d’un commun sont :

  • une ressource;
  • une communauté qui utilise et administre la ressource;
  • un ensemble de règles définies par l’ensemble de la communauté pour administrer la ressource et veiller à sa pérennité.

Et si on les compare à la réalité des bibliothèques publiques, qui :

  • donnent bien accès à des ressources, pour un usage collectif;
  • desservent bien une communauté;
  • mais qui sont propriété d’une institution publique qui décide seule des règles qu’elle souhaite appliquer à l’usage de ses ressources.

Les bibliothèques ne sont donc ni un bien commun ni un commun du savoir. Elles administrent des ressources qu’elles sortent de la sphère marchande pour en permettre un usage collectif à l’aide d’un certain nombre de règles qui visent à en garantir la pérennité et l’accès équitable à tous. En dehors des fonds patrimoniaux qui sont dans le domaine public, ces ressources sont la propriété de la puissance publique et de fait, les règles qui les régissent ne sont pas édictées par la communauté des usagers, mais bien par cette puissance publique et ses représentants en la personne des bibliothécaires. C’est en cela que nous ne pouvons considérer les bibliothèques publiques comme des communs du savoir. La bibliothèque est un service public qui agit pour le bien commun dont la mission est de garantir un accès ouvert à l’information et aux savoirs.

Pour autant, les bibliothèques n’en sont pas moins concernées par la problématique des communs du savoir[21]. David Bollier, dans La Renaissance des communs[22], introduit l’idée qu’il peut y avoir une garantie publique autour des communs. Il indique que la puissance publique a un rôle à jouer pour garantir la préservation de biens communs quand l’échelle est trop vaste pour pouvoir être directement administrée par l’ensemble de ses utilisateurs usagers. Le rôle de la puissance publique n’est pas de s’approprier le commun, mais de veiller au contraire à ce qu’il reste à l’abri des enclosures. C’est là que le lien avec les bibliothèques est le plus fort : si la bibliothèque n’est pas un commun stricto sensu, elle participe par ses missions à garantir le développement et la pérennité de ses communs du savoir. De cette garantie publique des communs, Lionel Maurel[23] propose 20 actions possibles :

1. Permettre la libre réutilisation des œuvres du domaine public numérisé.

2. Ouvrir ses données en données ouvertes.

3. Accorder la priorité aux logiciels libres.

4. Proposer des œuvres sous licence libre et participer à leur curation.

5. Placer sous licence libre les contenus originaux produits par la bibliothèque.

6. Diffuser sous licence libre les captations d’événements, les conférences, les débats.

7. Éviter de participer au processus d’enclosure de la connaissance.

8. Donner accès à un Internet non filtré et sans identification préalable.

9. Protéger les données personnelles de ses usagers et sensibiliser aux enjeux de la protection de la vie privée.

10. Développer un fonds documentaire sur la question des communs.

11. Participer à la littératie des communs.

12. Organiser des ateliers de contribution à des communs de la connaissance.

13. Favoriser la mise en partage des ressources et des savoirs (grainothèques, bookcrossing, troc de presse, bourses des savoirs, bibliothèques vivantes, etc.).

14. Soutenir les acteurs des communs sur son territoire, notamment par la mise à disposition des lieux et des équipements aux communautés.

15. Organiser des événements autour de la thématique des communs.

16. Passer à une logique de tiers-lieux en tant qu’espace appropriable par des communautés.

17. Permettre aux agents de la bibliothèque de contribuer sur leur temps de travail à des communs de la connaissance.

18. Participer au financement des communs culturels.

19. Développer des liens avec des bibliothèques autogérées.

20. Ouvrir la gouvernance de l’établissement aux usagers.

Il s’agit d’un choix de politique publique : celui d’affirmer les bibliothèques comme des maisons des communs du savoir sur les territoires[24] qui au-delà de donner accès, encourage les citoyens à produire à partager de nouveaux savoir et ainsi à développer leur capacité à contribuer, à transmettre, à gérer et à défendre par eux même ces biens communs de la connaissance.

La première approche du numérique par les bibliothécaires s’est faite sous l’angle de la collection. Le numérique a ainsi été bien souvent synonyme d’achat de ressources numériques, reléguant au second plan l’analyse des usages et de la médiation numérique des savoirs. Avec cet angle, les bibliothèques se sont vues confrontées à la question centrale des acteurs marchands : que vendre quand le coût de reproduction et de diffusion par un réseau ouvert en accès libre est quasi nul? Bien entendu, l’information a un coût de production qui lui est élevé et qui consiste à financer du temps de travail. Mais quel bibliothécaire n’a pas été sidéré de constater les écarts de prix entre fournisseurs de ressources numériques et la variété de critères pour déterminer ce sur quoi asseoir ce qu’il faut vendre? Cette extrême diversité de modèles commerciaux nous semble correspondre à ce qu’on pourrait appeler une désorientation de la valeur dans l’univers numérique. Cette désorientation peut être interprétée comme le signe d’une profonde mutation en cours. Parallèlement se dégage une puissante créativité pour imaginer et dresser des barrières artificielles : des enclosures franchissables par des démarches tarifées[25]. Concrètement, on peut qualifier d’enclosure de données la barrière technique d’accès à un ensemble de données considérées comme un trésor coupé du Web. Cette enclosure est souvent combinée à celle de temps (abonnements) : on vend ici un accès pour une période donnée. Très fréquente dans les bibliothèques, elle se combine avec l’enclosure géographique en fonction de laquelle les usagers ne peuvent accéder à certaines ressources que dans l’enceinte du lieu. C’est bien le cumul de conditions d’accès variées à l’information qui rendent très difficile la gestion des « ressources numériques » depuis les établissements documentaires[26].

Attention, il ne s’agit pas de dire que ces barrières sont systématiquement illégitimes, mais qu’elles sont des contraintes plus ou moins intrusives dans des démarches légitimes d’internautes pour s’informer, apprendre, jouer, déployer des usages. Ce qui nous intéresse ici est d’examiner en quoi ces barrières artificielles sont des obstacles au déploiement de communs de la connaissance.

Une enclosure est un dispositif sociotechnique destiné à empêcher la circulation, l’accès ou la réutilisation de l’information et qui rend difficile ou impossible la naissance, le maintien ou le développement de communs de la connaissance. Le chercheur en sciences de l’information Olivier Ertzscheid[27] définit plus précisément la notion comme :

Un élément dinformation ou de connaissance dont la libre circulation documentaire est entravée, ou qui ne peut-être documenté, qui ne peut rentrer dans un processus documentaire (de conservation, darchivage, de diffusion, etc.) quen circuit fermé ou dans des conditions dappropriation définies par le site hôte et non par le producteur ou le créateur de la ressource.

Notre rôle est alors de garantir la pérennité, l’interopérabilité, la lisibilité, l’appropriabilité et la citabilité des biens informationnels pour contribuer au développement d’une culture de l’information de nature à favoriser le développement des connaissances et des apprentissages en réseaux.

De ce point de vue, on comprendra qu’il ne s’agit plus du tout de proposer exclusivement des accès ou des lieux d’accès, mais bien de trouver des réponses, ou des stratégies de réponses, à un certain nombre d’enclosures. Il est essentiel pour bien comprendre les communs de percevoir qu’ils déplacent la frontière traditionnelle entre marchand et non marchand vers une frontière entre exclusif et non exclusif (ouvert). Une communauté peut ainsi avoir des activités marchandes qui lui permettront entre autres de dégager les revenus qui lui permettront de financer le maintien ou le développement du commun. Par exemple, un éditeur de logiciel libre (logiciel pour lequel on a choisi un régime de commun comportant une clause de partage à l’identique) fournit souvent un accès gratuit à son logiciel (contrairement au logiciel propriétaire qui vend des licences); en revanche, il peut vendre le support matériel du logiciel et le service de formation ou de personnalisation du logiciel. De même, les communautés paysannes qui choisissent de croiser leurs semences entre elles pour améliorer les espèces contribuent au commun de la connaissance semencière paysanne, ce qui ne les empêche pas par ailleurs, de vendre les produits de leurs récoltes. Certains pensent qu’une même ressource peut faire l’objet de certains droits d’usage libre, dans une logique de contribution aux communs, tout en autorisant la commercialisation de la même ressource.

Toute ressource n’a pas vocation à être gérée comme un commun. Une communauté peut considérer, en fonction des circonstances, qu’à un moment donné une ressource sera gérée plus efficacement par le secteur public ou privé. Par exemple, la gestion de l’eau, qui avait été largement transférée au secteur privé au cours des dernières décennies par de nombreuses municipalités en France, fait l’objet de mouvements en faveur d’une « remunicipalisation » dans différents pays ou villes (Italie, Paris…). En revanche, peu de voix s’élèvent pour en faire un commun géré par les habitants eux-mêmes. Cela peut s’expliquer par différents facteurs comme la complexité des infrastructures d’acheminement et de distribution.

Par exemple, un domaine peu connu des professionnels des bibliothèques est le développement de communautés fondées sur le partage illégal d’œuvres sous droits. Ces communautés ont une face publique, mais sont pour une grande partie d’entre elles dissimulées. Le blogueur et membre de la Quadrature du Net Benjamin Sonntag décrit assez précisément ces communautés[28] :

[…] wagamama est une communauté de fans de vieux films, raretés et autres anti-blockbusters. On y trouvera uniquement des films nayant pas fait un carton ces dernières années, et conséquence de cela, on y trouvera surtout des fans hyper pointus de cinéma. Chaque fiche de film est accompagnée de captures d’écran haute qualité, d’une description souvent en anglais, dinformations techniques sur le film (réalisateur, acteurs principaux…) et le fichier (format, taille, langue, sous-titres…). Chaque mois, un réalisateur, auteur ou thème est mis à la une.

Statistiques du site : environ 20 000 utilisateurs actifs, 110 000 torrents dont 68 000 de films, 230 000 peers, soit en moyenne 1,5 personne partageant chaque film. Les forums comptent 178 000 messages.

‘yaplusdepopcorn’ est une communauté de cinéphiles généralistes, blockbusters compris. Chaque film peut être partagé en différentes qualités (standard, hd, Blu-ray…). On y trouve de très nombreuses informations sur chaque film : acteurs, réalisateur, scénariste, etc. On peut ainsi trouver tous les films où tel scénariste a participé, ou tout simplement naviguer dans les jaquettes. Un système de requête permet aussi de chercher un film ou une qualité en particulier.

Statistiques du site : 25 000 utilisateurs, 130 000 torrents, soit 68 000 films avec 720 000 personnes référencées (acteurs, réalisateurs…), près de 600 000 peers, soit 4 personnes partageant chaque film. Les forums comptent 375 000 messages.

Ces communautés fonctionnent comme des communs, parce qu’elles se construisent autour de ressources et de règles précises. L’auteur conclut cette enquête au sein de ces communautés en ligne par ces mots :

Enfin, ne serait-ce pas tellement mieux si ces communautés pouvaient exister de manière ouverte grâce à une légalisation des échanges hors marché, permettant à ces passionnés de partager enfin leurs coups de cœur légalement, sans être obligés de se cacher de majors censés aider les artistes à trouver leur public?

Il nous semble que ces pratiques d’échanges non marchands entre individus, aujourd’hui illégales, doivent profondément interroger les bibliothécaires sur leur rôle : comment accompagner le développement des compétences numériques des publics? Comment se situer par rapport à des communautés d’amateurs structurées qui échangent des fichiers? Faut-il en déplorer l’existence avec les industries culturelles ou développer un plaidoyer pour légaliser le partage non marchand en finançant la création artistique?

L’approche par les communs de la connaissance démontre qu’il existe une économie dont l’objectif n’est pas le profit de la vente, mais l’entretien et le développement de ressources ouvertes. Les contributeurs de Wikipédia sont motivés par l’objectif du projet ou simplement par l’envie de partager un savoir. Un tel mode de production est appelé « production par des pairs ». Cette production par les pairs basée sur les communs produit de nouveaux biens communs ou prend soin de ceux qui existent. On assimile souvent le pair-à-pair à l’absence de structures hiérarchiques verticales au profit d’une horizontalité très forte. Il existe pourtant une structure de coordinateurs qui veillent à ce qu’un projet reste cohérent et qui décident si les contributions sont intégrées ou refusées. Les relations qui se nouent autour de ces communs ne sont pas dépourvues de règles, fruit du consensus entre « pairs ». Michel Bauwens a fondé sur cette idée la Peer to Peer Foundation[29]. Il y propose une Peer Production Licence[30] qui vise à permettre l’usage gratuit de ressources par des structures organisées vers les communs (telles des associations ou des entreprises sociales et solidaires) là où les entreprises traditionnelles doivent financer l’usage qu’elles souhaitent faire de la ressource. Il s’agit d’enclencher des cercles vertueux permettant de financer des modes de production alternatifs.

Comment prendre en compte ces communs? Faut-il, pour les « ressources numériques » continuer à construire des mondes clos au risque d’oublier la médiation de l’océan infini des pépites de contenus en accès libres sur le Web? Les contenus payants et payés pour d’autres, si intéressants nous semblent-ils, pour lesquels les bibliothécaires dépensent autant d’énergie, valent-ils vraiment la peine d’être proposés derrière des forteresses sécurisées? Ne faut-il pas tout simplement arrêter de proposer des offres qui n’ont pas des caractéristiques minimales respectueuses des droits des usagers? A-t-on forcément besoin de « donner accès à » pour recommander, pour propulser? Comment repenser ces équilibres?

Les bibliothèques se sont construites sur l’accès à la connaissance de biens rares et rivaux, c’est-à-dire que la jouissance de la consultation des objets tangibles qu’elles mettent à disposition prive d’autres personnes de cette même jouissance. Or l’ADN du numérique est la faculté de reproduire à l’identique et sans perte l’information à l’infini pour un coût quasi nul. Les bibliothèques s’inscrivent donc dans un contexte radicalement nouveau dans lequel existent à échelle mondiale des accès facilités à des communs.

Placer les bibliothèques dans une perspective ouverte aux communs, c’est les placer au sein d’enjeux citoyens. Les communs ne sont ni une idéologie, ni un mouvement politique, mais une manière de considérer l’information dans une triple dynamique : la ressource informationnelle, la communauté qui lui est associée (les commoners) et les règles de fonctionnement qu’elle se propose de suivre. Cette triade est essentielle parce qu’elle prend en compte des usages et des règles et s’intéresse aux conditions d’appropriabilité de l’information. Contribuer au développement des communs, c’est s’inscrire non pas seulement comme fournisseur d’une information descendante et sélectionnée pour sa qualité, mais développer des dispositifs de rencontres entre des contenus et des internautes sur le fondement de l’existence de communautés d’intérêts.

Ni défense du service public ni soumission aveugle aux lois du marché, les professionnels de l’information peuvent voir dans les communs une manière de favoriser des sérendipités. Lorsque la bibliothèque de Toulouse propose un fonds iconographique rare au sein du programme Flickr Commons[31], elle n’alimente pas aveuglément des contenus publics à une base de données américaine bénéficiant d’un juteux modèle économique et elle ne se contente pas d’une bibliothèque numérique déconnectée des flux communautaires et des usages du Web. Elle s’inscrit dans les enjeux des communs en participant à une communauté active tout en assurant une pérennité des données qu’elle diffuse en les conservant sur ses propres serveurs.

Trop souvent abordées en termes exclusifs de numérisation du patrimoine, les politiques publiques doivent à notre sens s’inscrire dans des mouvements de communs de la connaissance. Lorsque des fonds patrimoniaux dans le domaine public sont numérisés à des fins de diffusion et que nombre de bibliothèques considèrent légitime de contrôler les droits de diffusion des contenus, elles créent elles-mêmes des enclosures qui n’ont pas de justification. En revanche, lorsqu’elles créent des contenus et les placent sous des licences libres de type Creative Commons, notamment avec la condition de « partage à l’identique », elles participent à un mouvement permettant à d’autres de récupérer ces contenus et s’inscrivent dans le cercle vertueux informationnel propre à Internet.

Philippe Aigrain, s’inspirant des droits imprescriptibles du lecteur proposés par Daniel Pennac[32], énumère huit droits d’usages de l’information :

1. Le droit de créer de nouvelles entités intellectuelles, y compris en utilisant des entités préexistantes.

2. Le droit de rendre sa création publique (sens originel de publication).

3. Le droit d’être reconnu comme créateur de tout ou d’une partie d’une entité intellectuelle.

4. Le droit d’obtenir récompense économique ou non économique pour une création, en proportion de l’intérêt que d’autres y ont porté.

5. Le droit d’accéder à toute entité intellectuelle qui a été rendue publique.

6. Le droit de citer des extraits d’une entité intellectuelle, quel que soit son média, pour les besoins de l’information, de l’analyse, de la critique, de l’enseignement, de la recherche ou de la création d’autres entités intellectuelles.

7. Le droit de redresser toute erreur, affirmation diffamatoire, information fausse ou attribution erronée.

8. Le droit de référencer, de créer un lien vers des entités intellectuelles produites par d’autres ou d’inventorier ces dernières, du moment qu’elles ont été rendues publiques.

Placer nos activités sous le signe des communs revient à prendre en compte l’intégralité de ces droits, relégués à des exceptions législatives fragiles au lieu de se situer dans une sphère non marchande à qui l’on reconnaît un droit limité d’existence en raison de la prédominance du quatrième de ces droits. Mais pour faciliter l’appropriation des communs, encore faut-il comprendre les logiques de circulation des contenus et l’importance de la recommandation en ligne. Le paradigme de la longue traîne permet de comprendre comment les bibliothèques se doivent de recommander dans les flux.

L’article de Chris Anderson[33] dans la revue Wired en 2004 est incontournable pour comprendre ce que le numérique change à la circulation des contenus. Pour nous, ce fut un choc et une évidence : ce que des lois bibliométriques confidentielles avaient démontré a trouvé dans la longue traîne une expression économique limpide. Un modèle était né, repris de l’essai de Clay Shirky traduit et théorisé par Chris Anderson sur son blogue[34] puis dans le livre éponyme[35].

Le principe de la longue traîne est simple : si on représente un marché de biens culturels sur une courbe avec en abscisse la variété des produits et en ordonnée les ventes de ces produits, la courbe obtenue (de nature asymptotique) ressemble à une traîne : peu de produits représentent beaucoup de ventes (les best-sellers) tandis qu’ensemble, de petites ventes cumulées constituent la partie longue de la traîne. Cette longue traîne constitue un chiffre d’affaires non négligeable, estimé en fonction des marchés à près de 25 % du chiffre d’affaires réalisé par les marchands en ligne.

Pour la première fois, le marché des faibles ventes cumulées est quantifié. Pour la première fois, il est possible d’affirmer que les marchands en ligne ont un intérêt commercial à avoir l’offre la plus large possible. Pour la première fois enfin, il est possible de comprendre que la faiblesse des coûts de stockage de la vente en ligne rend accessibles commercialement les « fonds de catalogue » jusque-là conservés et accessibles uniquement dans les bibliothèques publiques.

En dehors du scandale de l’optimisation fiscale entourant les pratiques de cette multinationale, un examen fin du fonctionnement de la longue traîne vient nuancer l’opposition frontale entre le « prédateur » Amazon et les libraires indépendants. En effet, un nombre non négligeable d’entre eux commercialise les fonds de catalogue par la place de marché permettant d’agrandir encore l’offre commerciale proposée à ses clients par Amazon[36].

À notre sens, la longue traîne est représentative du basculement propre à l’âge de la médiation. Chris Anderson énumère les trois forces de la longue traîne. D’abord la démocratisation des outils de production : donnez à suffisamment de gens la capacité de créer et inévitablement des joyaux apparaîtront. La deuxième force est la baisse des coûts de consommation due à la démocratisation de la distribution.

Le fait que nimporte qui puisse produire un contenu na d’intérêt que si dautres peuvent en profiter. Avec le micro-ordinateur, tout le monde est devenu producteur ou éditeur, mais cest avec Internet que tout le monde est devenu distributeur.

La troisième force permet d’approcher les enjeux de la médiation numérique des savoirs telle que nous l’entendons :

[…] la connexion entre loffre et la demande, qui fait connaître aux consommateurs les biens nouveaux ou nouvellement disponibles et qui tire la demande vers laval de la traîne.

Pour exploiter commercialement la longue traîne, il est indispensable d’y favoriser les circulations, autrement dit, d’appliquer des techniques commerciales qui visent à provoquer des passages entre ce qui est très vendu et ce qui l’est moins, voire pas du tout. Les fonds de catalogue sont ainsi l’objet de dispositif de médiation commercial par capillarité de manière à stimuler les achats d’impulsion. En 2007, Glowria, leader européen du divertissement vidéo à la demande, utilise la technologie (aujourd’hui disparue) de Criteo pour être déployée sur son catalogue de DVD. Les recommandations personnalisées de Criteo permettent d’optimiser l’accès aux 12 000 titres disponibles de Glowria. Les résultats sont spectaculaires. Grâce aux recommandations personnalisées de Criteo, le poids de la longue traîne (soit 10 000 titres les moins loués qui représentent 80 % de l’offre) est passé de 31 % à 50 % des locations de DVD. Concernant la très longue traîne (les 7 000 titres les moins loués), l’effet est encore plus net. Son poids double en passant de 12 % à 24 % des locations.

Chez Amazon, la fameuse phrase « Si vous avez aimé ce livre vous aimerez aussi » se décline sur tous les tons afin d’adapter le catalogue aux parcours de navigation des clients. Ce que met Chris Anderson[37] en évidence peut être lié à la force des liens faibles soulignée par Dominique Cardon :

Quand les consommateurs se parlent, il se produit aussi autre chose : ils saperçoivent que, collectivement, leurs goûts sont beaucoup plus divers que ne le laisse penser le marketing dirigé vers eux. Leurs centres d’intérêt se subdivisent en communautés daffinités de plus en plus étroites, ils senfoncent de plus en plus profondément au cœur de leur thème de prédilection, comme cest toujours le cas quand des esprits semblables se rencontrent. Encouragés par la compagnie, virtuelle ou non, ils explorent linconnu ensemble, en saventurant plus loin des sentiers battus.

Avec cette approche, valoriser ou éditorialiser une collection d’objets tangibles serait inciter à une diffusion des contenus qui soit différente de la liste des meilleures ventes. Une des erreurs les plus fréquentes est d’interpréter la longue traîne comme la fin des best-sellers, Chris Anderson précise bien que ce qui est remis en cause n’est non pas leur existence, mais leur monopole. Il propose ensuite une typologie des succès et des best-sellers qui nous semble réjouissante :

Type 1 : Authentiques succès venus den haut, produits excellents qui rencontrent un large public (les exemples sont nombreux, du groupe Coldplay jusqu’à la Coupe du monde). Ils commencent grands et restent grands.

Type 2 : Succès artificiels venus den haut, produits boiteux soutenus par un marketing massif qui réussit à amener beaucoup de gens à les essayer, quitte à ce que probablement ils le regrettent ensuite (pensez au film Garfield 2, en V.O. Garfield : A Tail of Two Kitties). Ils commencent grands, mais mollissent vite.

Type 3 : Succès venus den bas qui doivent leur ascension au bouche-à-oreille et au soutien de la base (pensez au groupe de rock Clap Your Hands Say Yeah ou au film La Marche de l’Empereur). Ils commencent petits et deviennent grands.

Je crois que les succès du type 1 vont continuer à bien se porter. Ceux du type 3 vont faire encore mieux, car le Web est le plus grand amplificateur de bouche-à-oreille jamais inventé. Mais les succès du type 2 vont souffrir, car le public se passe le mot de leur médiocrité plus vite que jamais.

Résultat des courses : dans un monde de longue traîne, beaucoup de succès venus den haut perdent du terrain, mais un nombre plus grand encore de succès venus den bas prospère. Ce nest pas la fin des hits, cest la montée en puissance dun nouveau genre de succès.

Ainsi, les bibliothèques peuvent et doivent à notre sens contribuer à la montée en puissance des « succès de type 3 », en amplifiant le bouche-à-oreille au sein des dispositifs de médiation et de l’audience de diffusion et d’appropriation que leurs activités représentent.

Une autre erreur courante est de croire que lorsque le contenu disponible est trop important en masse, les contenus de qualités sont plus rares, justifiant par là même l’impression d’une masse incohérente par l’absence de filtrage éditorial. Chris Anderson affirme au contraire que c’est parce que l’offre est très vaste que le spectre d’une qualité artistique — perçue relativement selon les individus — est le plus large et surtout que les contenus de niche peuvent prendre toute leur importance.

Une façon de caractériser ce phénomène (en recourant une fois de plus au vocabulaire de la théorie de linformation) serait de dire que les longues traînes ont une « large portée dynamique » en matière de qualité, qui va de nulle à excellente. Au contraire, la qualité du linéaire lambda a une « faible portée dynamique », qui va grosso modo de moyenne à bonne. (Certains articles sont vraiment excellents, mais beaucoup sont trop chers pour le magasin moyen; il existe des niches aux deux extrémités du spectre de la qualité.)

La démocratisation des moyens de production permet de s’intéresser à des créneaux et augmente la probabilité de l’existence de contenus de qualité non commercialisés. Pour la première fois, les bibliothécaires sont confrontés à des masses de contenus dont la commercialisation ne peut plus être le premier filtre de sélection. Un simple accès à Internet constitue en soi une porte d’entrée vers un océan de contenus en circulation.

À notre sens, les politiques documentaires sont un socle fondamental de la démarche de médiation numérique des savoirs, mais ne sauraient s’y résumer. Même élargie à la gestion des flux et à la médiation, l’angle documentaire nous semble bien trop dominer les discours et la médiation numérique des savoirs ne saurait se résumer à n’être que le versant numérique d’une politique documentaire. Il nous semble que la médiation numérique des savoirs peut constituer l’architecture de l’ensemble d’une politique publique de l’information, comme nous le verrons.

Le mythe fondateur du bibliothécaire dénicheur ou découvreur d’éditeurs ou de talents improbables est-il réservé aux objets tangibles peu connus de l’offre commerciale? Ce rôle peut-il se résumer à celui de passeur autorisé par l’édition commerciale à faire exister des objets sélectionnés dans une offre marchande? Est-on capable de prolonger ce rôle dans l’espace ouvert du Web, celui des amateurs, au sens étymologique du terme (celui qui aime)? Est-on capable de faire connaître des communs de la connaissance, des pépites sous licences libres ou de transformer des chaînes YouTube du milieu en succès de type 3 selon la typologie de Chris Anderson? Est-on capables de donner autant d’importance à ces contenus comme on « valorise » l’édition commerciale « de qualité »? La focalisation sur les ressources numériques payantes indique une profonde tendance à légitimer des contenus par leur existence commerciale et budgétaire, alors même que les obstacles d’accès en rendent toute médiation problématique…

Tout l’enjeu des démarches de médiations numériques des savoirs est de construire les bons dispositifs en phase avec les modes d’accès à l’information d’aujourd’hui. Il ne s’agit en aucun cas de se perdre dans les contenus, mais au contraire de construire des dispositifs qui vont rendre lisibles des sélections et les articuler aux circuits qui font le quotidien de la constitution et de la « valorisation » des fonds imprimés d’une bibliothèque. Numérique ou pas, nous n’avons jamais été les seuls à sélectionner, tout au plus étions-nous à peine plus visibles que le continent des amateurs dont le Web a démultiplié la force et la visibilité. Encore faut-il comprendre que ce qu’il s’agit désormais de rendre lisible c’est non seulement des contenus, mais aussi, et surtout, les acteurs des communautés d’intérêts qui les construisent. Il y a un enjeu essentiel non pas à constituer des stocks de contenus numériques sélectionnés, mais bien à s’insérer dans les flux des médias sociaux et des communautés d’intérêts parce que c’est un mode d’accès à l’information dominant. Proposons des dispositifs qui donnent des repères dans un Web où il est toujours extrêmement difficile de s’orienter sans accorder sa confiance à des tiers. Soyons des tiers de confiance qui permettent d’en identifier d’autres, sur place et à distance. Par exemple, les animateurs du site de recommandation de musique sous licence libre Ziklibrenbib font un travail remarquable avec des accès aux MP3 en intégralité. Qu’attendons-nous pour faire pareil en littérature? Qu’attendons-nous pour en finir avec l’assimilation de tous les amateurs au pire de l’édition à compte d’auteur? Et en art? En sciences? Des pépites et des communautés de découvreurs il y en a; nous savons les trouver, les sélectionner, les mettre en forme et gagner par là même la confiance de ceux pour qui nous les recommandons. Voilà tout l’enjeu d’associer étroitement les contenus avec les communautés d’internautes qui y accèdent ou qui les produisent.

Cependant, il ne s’agit pas d’affirmer que les contenus de niches doivent remplacer les best-sellers, mais que les trois moteurs de la longue traîne permettent d’ouvrir le champ des médiations en comblant le fossé entre amateurs de niches et impact des best-sellers. La collection présélectionnée doit laisser la place au choix dans l’illimité. Nous développons ce point dans le chapitre suivant de manière à recentrer le travail de médiation sur l’élaboration de dispositifs de médiation. Pour Chris Anderson, il s’agit simplement d’un :

[…] rééquilibrage de l’équation, le passage dune époque où il fallait choisir entre deux options — le hit ou la niche (culture de masse contre sous-culture) — à une ère où ces deux options sont réconciliées. Aujourdhui, notre culture est de plus en plus un mélange de « tête » et de « traîne », de succès pour initiés et de tubes grand public, dinstitutions et dindividus, de professionnels et damateurs. La culture de masse ne disparaîtra pas, mais elle sadressera moins aux « masses », tandis que la culture de niche sera moins confinée aux « branchés ».

En réalité, ce qui se passe est le passage à une culture des communautés d’intérêts :

Pour résumer, nous sommes témoins du passage de la culture de masse à une culture « massivement parallèle ». Que nous en ayons conscience ou non, chacun dentre nous appartient simultanément à de nombreuses tribus différentes qui peuvent se recouper (le fana de lordi et celui des Legos) ou pas (tennis et punk-funk). Nous avons certains centres d’intérêt, mais pas tous, en commun avec nos collègues et dautres avec notre famille. De plus en plus, il existe dautres personnes avec qui nous pouvons les partager, des gens que nous navons jamais rencontrés ni même considérés comme des individus (par exemple, les auteurs de blogs [sic] ou les créateurs de playlists).

Le sociologue Bernard Lahire ne dit pas autre chose lorsqu’il caractérise des profils culturels dissonants[38], c’est-à-dire qu’un même individu peut avoir des pratiques très légitimes (écouter un opéra) à un moment donné et des pratiques non légitimes (lire un roman à l’eau de rose) à un autre moment. Ce simple constat ouvre à notre sens un champ de médiation très vaste qui ne peut plus s’interpréter à destination de publics caractérisés par leur catégorie socioprofessionnelle, mais qui doit nécessairement passer par le développement des goûts et des habiletés informationnelles.

Ainsi, l’enjeu est moins la constitution de collections tangibles ou de bouquets d’offres sous droit que l’accès à Internet ou à de vastes bases de données qui donnent une illusion d’illimité. Il nous semble qu’au sein de ces ensembles hétéroclites, le rôle des médiateurs est de repérer et de mettre en évidence des communautés d’intérêts pour en faciliter l’accès dans une optique de développement des goûts et d’une construction des pratiques amateurs, entendues au sens étymologique du terme : celui qui aime. On précisera d’emblée que ce rôle ne saurait se cantonner aux champs artistiques, mais qu’il peut recouvrir l’ensemble des savoirs et des savoir-faire.

L’important pour les médiateurs des savoirs au sein des services publics n’est pas que la longue traîne soit organisée pour être rentable, mais qu’elle permette de comprendre que l’enjeu n’est plus l’accès, mais le choix dans l’abondance. En effet, l’exercice de médiation dans la longue traîne est d’autant plus intéressant que la recommandation est possible dans un ensemble vaste. Cette approche doit passer par des conseils, des recommandations, des critiques, des coups de cœur, etc. Le bibliothécaire est l’un des maillons de la chaîne qui offre l’accès et peut guider dans cette offre, il n’est pas un prescripteur (on prescrit des médicaments… pas des contenus), il organise des interactions entre une offre et une demande documentaire, il rend possibles des parcours de découvertes. Mais comment la longue traîne s’applique-t-elle aux bibliothèques?

Une étude récente portant sur les emprunts de livres dans les bibliothèques municipales de la Ville de Paris réalisée entre janvier et avril 2012 et signée Lumeau Marianne et Thierry Clémence, La demande de livres de fiction en bibliothèques[39], montre que la taille du catalogue des bibliothèques de la Ville de Paris est considérable :

Les usagers peuvent donc théoriquement choisir parmi les 2,7 millions d’exemplaires imprimés qui composent le catalogue. À titre de comparaison, Brynjolfsson et al. (2003) indiquent qu’un magasin traditionnel dispose de 40 000 à 100 000 volumes, alors qu’un site de commerce en ligne, tel qu’Amazon.com ou barnesandnoble.com, offre 2,3 millions de livres imprimés.

L’article[40] met en évidence que les emprunts suivent une distribution a priori similaire aux catalogues commerciaux.

Figure 2. Les emprunts de titres de fiction (Bibliothèque de la Ville de Paris)

Pourtant, il y a un effet de concentration qui est moindre par rapport au traditionnel rapport 80-20 de la loi de Pareto :

Traditionnellement, la littérature académique considère que la demande de biens culturels suit une distribution de Pareto. Cette régularité statistique fait couramment état d’une répartition 80-20 : 20 % des titres concentrent 80 % de la demande totale. Par exemple, en étudiant la distribution des ventes cumulées sur les titres de la rentrée littéraire française de 2005, Benghozi et Benhamou (2010) montrent que 16 % des titres réalisent 83 % des ventes. Le tableau 3 indique que, dans le cas de la demande de livres en bibliothèques parisiennes, 20 % des titres réalisent 66,44 % des emprunts totaux. La demande de livres dans les bibliothèques de la Ville de Paris semble donc être distribuée de manière relativement peu concentrée.

Comment expliquer que cette concentration soit moindre? Les auteurs émettent trois hypothèses :

  • L’offre serait plus diverse et les usagers reporteraient naturellement leurs choix sur d’autres titres que les best-sellers du haut de la longue traîne qui sont par nature difficile d’accès, car très demandés. Les stratégies des usagers se porteraient vers les titres moins connus du fait de la fonction de découverte de la bibliothèque;
  • La population parisienne serait par sa composition sociologique portée vers la diversité;
  • Le travail de médiation des bibliothécaires contribue à ce phénomène.

Cette dernière hypothèse a fait l’objet d’un examen plus approfondi à partir des dispositifs de médiation très fréquents dans les bibliothèques : des tables thématiques et des coups de cœur. L’impact de ces dispositifs de médiation est très clairement mis en évidence :

[…] les titres les plus empruntés ont largement bénéficié d’un rayonnage favorable. Ainsi, parmi les 1 069 titres ayant bénéficié d’une telle recommandation, 502 dentre eux font partie des 10 % des ouvrages les plus empruntés. De même, le tableau 4 montre que les titres les plus empruntés ont bénéficié d’un étiquetage favorable. En effet, parmi les 50 coups de cœur des bibliothécaires, 27 ouvrages font partie des 10 % des titres les plus empruntés sur la période. Ces résultats suggèrent que les deux types de recommandations issues des bibliothécaires influencent positivement la demande de titres des usagers en bibliothèques.

L’étude se concentre alors sur la manière dont les usagers des bibliothèques sont influencés par l’exposition médiatique relative aux prix littéraires (nominations et lauréats). Le résultat est le suivant :

Les titres les plus empruntés ont été les plus récompensés. En effet, parmi les 42 titres lauréats dun prix littéraire entre 2006 et 2010, 31 (soit 74 % du volume total) sont présents dans les 10 % des ouvrages les plus empruntés. Ce type de recommandation semble donc positivement influencer le choix des emprunteurs. Le tableau 5 montre également que, parmi les 319 titres empruntés ayant été sélectionnés à un prix littéraire en 2006 et 2010, seulement 124 (soit 39 % du volume total) font partie des 10 % les plus empruntés. Enfin, le tableau 5 indique que, parmi les 417 titres ayant fait partie des meilleures ventes entre 2006 et 2010, 350 font partie des 10 % les plus empruntés en bibliothèques. Ce résultat suggère une corrélation positive entre lemprunt et lachat, dans la mesure où les titres largement empruntés seraient également des titres ayant été largement achetés sur des périodes antérieures.

Enfin, les auteurs de l’étude ont cherché à connaître l’impact des différents modes de recommandation, entre médiation externe et médiation interne aux bibliothèques. C’est ce résultat qui nous semble essentiel :

Au vu de ces résultats, les recommandations issues des bibliothécaires semblent avoir un impact plus important sur le nombre de fois où un titre va être emprunté, que les recommandations issues des experts. En comparant les coefficients, on observe quun titre sélectionné et mis en avant sur un présentoir dédié par les bibliothécaires (respectivement signalé par un étiquetage favorable) sera emprunté 17 fois plus quun titre ne bénéficiant pas dune telle visibilité, contre 11 fois plus pour un titre ayant été récompensé par des experts.

Cette étude est un véritable encouragement à développer des dispositifs de médiations permettant de favoriser les circulations dans la bibliodiversité selon un schéma qui pourrait ressembler à celui-ci[41] :

Figure 3. La longue traîne pour favoriser les parcours d’amateurs

Il est clair que l’enjeu est de faire en sorte que notre capacité de recommandation se développe au bénéfice de la circulation des idées dans la longue traîne. On constatera en creux qu’un dispositif comme le prêt numérique en bibliothèques (PNB) ne permet en aucun cas de bénéficier de la diversité culturelle liée à la recommandation dans la longue traîne. Le catalogue acquis par chaque bibliothèque est nécessairement pauvre du fait du coût d’acquisition par titre. De même, le système des jetons[42], au lieu d’encourager la recherche d’un accès à la bibliodiversité, vient sanctionner budgétairement l’influence de la médiation sur les emprunts. Avec un tel modèle d’accès, plus les bibliothécaires pratiquent des médiations et moins ils peuvent le faire. Le livre numérique proposé dans ces conditions signera-t-il la fin de la capacité de recommandation et de l’influence des bibliothécaires sur l’accès à la bibliodiversité des contenus?

La plupart des critiques de la longue traîne font état de comportements moutonniers des consommateurs. Par exemple, Thierry Crouzet[43] note que pour le livre imprimé, les publics ont tendance à :

[…] tout acheter, donc de créer une longue traîne, mais les gens nachètent que ce que leurs amis leur recommandent dans les réseaux sociaux, ce qui favorise les textes faciles à promouvoir, donc les best-sellers (et cela en ligne ou hors ligne).

Dans un autre article, Hubert Guillaud affirme que si la longue traîne lui semble un mythe c’est parce que le marché est concentré et que précisément il n’y a pas assez de médiation[44] :

Si la longue traîne ne sest pas réalisée, ce nest pas tant que la théorie nest pas valide, que les conditions économiques pour sa réalisation ne sont pas là. Les monopoles de fait de quelques gros acteurs, les moteurs de recommandation qui fonctionnent tous peu ou prou sur les mêmes critères, labsence de travail éditorial de mise en avant ou de sélection sur la plupart des plateformes de ventes de livres… sont les facteurs premiers de cette fuite en avant. La bestsellerisation du monde est dabord le fait des monopoles du numérique, des effets de concentration rendus plus importants. Cest bien en cela quil faut lire l’étude économique européenne que pointait le juriste Lionel Maurel dans un billet sur la question, qui montrait la baisse de fréquentation des films indépendants au cinéma, après la fermeture de la plateforme de partage Megaupload… Le manque de diversité de la recommandation est un piège, dont l’action se fait ressentir bien au-delà de ses effets directs, et la monopolisation du Web nous y précipite.

Là est précisément l’enjeu qui nous intéresse, la longue traîne n’a rien de magique, elle ne fait que décrire une situation nouvelle dans laquelle l’abondance des contenus et la facilité de l’accès à ces contenus sont une condition nécessaire, mais ne sauraient suffire. Tout se passe comme si les enjeux d’accès sur lesquels se sont construites les bibliothèques se déplaçaient vers des enjeux de médiation. Pour que ce phénomène puisse prendre tout son intérêt culturel, il nous semble fondamental d’affirmer que la médiation numérique des savoirs doit se situer au cœur de ces pratiques de recommandation. C’est bien parce que nous pouvons désormais entrer dans des cercles relationnels et tenter d’être des sources de confiance sans vocation commerciale au sein de la longue traîne des contenus que nous pouvons miser sur une utilité sociale stable au sein de laquelle la recommandation humaine et les communautés d’intérêts joueront un rôle croissant. La recommandation est fondamentalement liée à une logique de l’attention, dans une acception qui n’est pas marchande, mais qui vise à provoquer des rencontres, comme la chercheuse Tiziana Terranova le propose[45] :

L’attention est une ouverture vers l’extérieur. Il s’agit d’une rencontre qui s’effectue dans la relation : l’attention est construite conjointement par le sujet, en corrélation avec le cerveau, le corps et la myriade de connexions dans lesquelles nous sommes pris.

Il est même tentant de rapprocher ces sérendipités, ces rencontres d’une logique vertueuse que l’on retrouve en littérature dans la notion d’horizon d’attente[46] d’Hans Robert Jauss dans Pour une esthétique de la réception[47], qui désigne la distance entre l’horizon d’attente préexistant et l’œuvre nouvelle dont la réception peut entraîner un « changement d’horizon ». Dès lors, ne faut-il pas concevoir que les enjeux citoyens liés à cette nouvelle donne numérique migrent de l’importance de l’accès vers l’importance de rencontres, de déclics dans tous les domaines de la connaissance? Une telle orientation n’est, au fond, pas si éloignée de la figure de l’honnête homme éclairé ni de la tradition républicaine dans laquelle s’inscrivent les bibliothèques publiques qui ont toujours porté un idéal d’autodidaxie[48].

Encore faut-il prendre la mesure d’un nouvel écosystème complexe dans lequel les usages demandent des analyses nuancées et imposent de s’émanciper d’une tradition critique des médias issue de l’École de Francfort. La théorie de la « seringue hypodermique[49] » postule en effet que le comportement des humains répond aux stimuli informationnels. Il suffirait donc d’injecter une dose d’information, de communication, de propagande ou de séduction pour obtenir l’effet recherché par le locuteur. Les travaux de MacLuhan, en particulier l’adage « le médium c’est le message », ont parfois été compris comme un déterminisme de l’outil qui déplace l’influence du côté des dispositifs techniques. Or les médias ou le marketing n’ont pas une influence directe et massive sur les individus, celle-ci est, selon Lazarsfeld médiée par ces relais d’opinion. C’est ce que Kim Christian Schröder explique dans cet article à propos de la télévision[50] :

Si le contenu des productions des médias commerciaux peut-être un « aliment pour l’esprit », il nous faut alors penser l’étape de la réception comme une étape de digestion progressive plutôt que d’injection instantanée. Et, pour rester dans la métaphore, les prédispositions psychologiques de chaque spectateur individuel font qu’il est susceptible de métaboliser la nourriture, de même, d’ailleurs, et, différemment, les stimulants les plus équivoques. En allant toujours plus loin, le téléspectateur ne peut désormais plus être considéré comme une cible atomisée et sans défense devant l’arsenal des médias, mais doit être appréhendé comme un être social pourvu d’une identité culturelle spécifique formée par les relations interpersonnelles de la communauté ou des communautés dont il relève.

Voilà qui permet de redonner du sens aux pratiques individuelles sans nier pour autant l’influence réelle globale des messages des grands médias. Sur un média social comme Facebook et plus largement dans le Web des flux, nous avons à plus forte raison les moyens de diffuser et de provoquer des rencontres, de participer à un bouche-à-oreille global. Construire un cercle relationnel, y émettre et y recevoir des messages est même ce qui caractérise un média social par rapport aux médias traditionnels. Les professionnels de l’information peuvent se faire, avec d’autres, relais d’opinions, peuvent pratiquer une activité de recommandation, peuvent l’apprendre à ceux qui le souhaitent comment prendre en main leurs propres ressources attentionnelles. Si l’honnête homme du XXIe siècle est un autodidacte, il l’est en réseau et doit être conscient de la qualité et de la rareté de son attention. Mais pour répondre à ces enjeux, il nous semble que le préalable indispensable est d’examiner la manière dont nous devons mettre en perspective la notion de collection numérique.

Voici la définition canonique de l’ADBS (Association des professionnels de l’information documentation) d’une « ressource numérique[51] » :

Document (données ou logiciels) encodé afin d’être traité par un ordinateur et considéré comme une unité bibliographique. Les ressources électroniques comprennent d’une part des ressources d’information stockées en local, d’autre part celles qui nécessitent l’utilisation d’un périphérique relié directement à l’ordinateur (par exemple, un disque dur, un lecteur de cédérom), et enfin les services en ligne (par exemple, les forums ou les listes de discussions, des sites Web). Une ressource électronique peut comporter soit du texte, soit de l’image fixe ou animée, soit du son. Elle peut être aussi multimédia.

À cette définition qui considère le document déconnecté de la dynamique de ses usages, nous préférons cette définition plus efficace : une ressource numérique est une pièce d’un puzzle dans une situation d’apprentissage.

Nous souhaitons ainsi replacer les « ressources numériques » dans la dynamique du Web et de la médiation, dans une dynamique d’apprentissage, de recommandation et de sérendipité pour des ressources qui mêlent le Web en accès libre et des œuvres ou documents en accès payant, par abonnement ou à l’acte. Pourquoi est-ce un domaine aussi complexe à gérer pour des professionnels de la documentation? Parce que les modèles d’accès dominants cherchent à commercialiser des données structurées dans des bases de données indépendantes des accès achetés par des établissements publics.

Pour expliquer la faiblesse des usages des ressources numériques régulièrement pointée dans les bibliothèques, on exprime souvent une insuffisance de communication, de formation des équipes et surtout de médiation vis-à-vis des usagers. Il n’en demeure pas moins que des difficultés réelles viennent compliquer le travail de valorisation des équipes, qui se heurtent à la complexité du sujet. Ces difficultés sont liées :

  • aux modalités d’usage : ressource disponible sur place/à distance, en diffusion en continu (streaming)/en téléchargement (les deux possibilités étant parfois offertes);
  • aux modalités d’identification : accès anonyme pour la consultation sur place, inscription préalable au service ou non pour les ressources à distance;
  • aux modalités d’accès : l’accès peut être illimité (éventuellement dans la limite d’un nombre d’accès simultanés) ou restreint, mais avec divers types de restrictions; limitation du nombre de consultations à un instant T, du nombre de consultations sur une période (p. ex., ArteVOD), durée de consultation limitée;
  • aux supports de consultation : par exemple, les livres numériques sont lisibles sur un micro-ordinateur, mais aussi sur un type de tablette de lecture, iPad et iPhone à condition de récupérer l’application sur l’Apple Store; les livres audio sont accessibles en WMA sur les baladeurs compatibles avec ce format, etc.;
  • aux DRM : limitation du nombre d’accès sur X supports de consultation, limitation du nombre de pages imprimables;
  • aux contraintes techniques : la possibilité d’accéder au service varie selon l’ordinateur (PC/Mac), le système d’exploitation (Windows/Linux), le lecteur (Adobe Digital Editions et non Adobe Reader, la version du navigateur, etc.);
  • aux contenus eux-mêmes : par exemple, la durée d’archivage varie selon les titres de presse.

Que doivent en outre savoir les équipes pour pouvoir renseigner les usagers? Il leur faut par exemple connaître :

  • les ressources acquises en bouquets et celles pour lesquelles la bibliothèque a opéré une sélection dans un choix de titres;
  • les modalités d’acquisition : abonnement, acquisition, acquisition pour une durée limitée;
  • le type de limitation d’accès : nombre d’accès simultanés, nombre d’usagers, nombre de documents, forfait annuel de téléchargement;
  • les modalités d’identification : pour les ressources sur place, il y a parfois un délai de 24 h après inscription, d’où l’utilisation de cartes collectives en attendant.

Toutes ces contraintes font de l’utilisation des ressources numériques — notamment à distance — un véritable parcours du combattant pour les usagers dont seuls les plus motivés vont au bout de la démarche. Pour les bibliothécaires, l’impression est souvent celle de pratiquer une assistance technique plutôt que de recommander des contenus. La situation actuelle du bibliothécaire revient à acheter pour d’autres des accès rares pour des contenus cachés derrière des murs payants. Les acteurs de l’économie numérique ont compris depuis bien longtemps que le meilleur moyen de « valoriser » — faire connaître — des contenus est de laisser l’accès libre quitte à vendre des services ensuite modèle freemium[52].

Faire le contraire revient à se situer délibérément en dehors des flux massifs où s’exerce la longue traîne. Cela a des conséquences lourdes pour nos pratiques d’accès et donc de médiation : difficulté d’accès à un monde clos, hétérogène, exclusif à certains moyens techniques et sélectionnés par un bibliothécaire inconnu, là où sur le Web la confiance se construit à partir de profils lisibles. Pourquoi cette situation s’est-elle développée? Les bibliothécaires sont aujourd’hui victimes d’un tropisme propre à la profession : la constitution de collections dans l’univers numérique. Le bibliothécaire est celui qui « donne accès » à des bases comme on achète un livre. Il fournit un accès légitimé par ses soins au risque de confondre la valeur marchande de l’achat au nom de la collectivité avec la vraie valeur d’usage : celle du libre accès, de la circulation et de l’appropriation des contenus par le plus grand nombre. Il nous semble que, trop souvent, au nom de l’idée séduisante et rassurante d’une collection, pour « donner accès à » nous acceptons des restrictions d’usages insupportables pour bon nombre d’internautes. Le résultat est sans appel : le constat des professionnels est que ces offres ne « marchent pas » et coûtent très cher.

Comment dès lors comprendre la notion de collection dans un contexte numérique? Les années 1990 ont vu la consécration de la notion de collection tangible à travers celle de politique documentaire. Concernant le numérique, le débat se focalise bien souvent sur la constitution d’une collection versus un bouquet clé en main qui n’est pas « maîtrisable ». L’approche concrète des bibliothécaires est toujours hybride, mais les discours valorisent bien souvent la responsabilité du bibliothécaire à sélectionner, acheter puis valoriser dans un mouvement directement inspiré de la gestion de collections d’objets tangibles. Il nous semble, en particulier pour le livre numérique, que ce parallélisme doit être profondément remis en cause.

D’une part, il nous semble indispensable de faire une différence fondamentale entre un modèle d’achat et un modèle d’accès. Les modèles d’achat regroupent ce que les bibliothèques achètent à leurs fournisseurs. Chaque fournisseur propose ainsi des critères déterminant la valeur de l’information vendue et fixe un prix à partir de ces critères. Les modèles d’accès regroupent la manière dont est proposée une expérience aux utilisateurs qui accèdent par l’entremise des bibliothèques à ces contenus. À notre sens, le second ne devrait jamais être sacrifié au premier. Le problème est que bien souvent, une fausse équivalence est tissée entre les deux : une bibliothèque qui fait un achat titre à titre proposera du « prêt numérique » avec DRM chronodégradable. L’usager s’inscrit dans le système et débloque un droit d’accès temporaire et sécurisé à un contenu.

La distinction entre modèle d’accès et modèle d’achat provoque nombre de questions : pourquoi donc vouloir contrôler la durée d’usage d’un fichier? Pourquoi le contrôle de la durée d’usage ne peut-il par porter sur un ensemble? Ne peut-on pas penser à des systèmes d’abonnements? Contrôler non pas l’accès à des fichiers uniques, mais à des ensembles de contenus? En réalité, c’est bien ce que nombre de fournisseurs de ressources numériques proposent depuis des années. Est-ce qu’il viendrait à l’idée de payer une par une les vidéos de YouTube et de proposer chaque vidéo avec un temps limité? Pourquoi lorsqu’il s’agit du livre le modèle d’accès comme le modèle d’achat devrait-il à tout prix conserver la granularité du titre?

À notre sens, l’enjeu des prochaines années pour les bibliothèques publiques concerne en priorité le livre numérique. Nous l’entendons ici comme le proposent les offres commerciales : la version numérique des publications initialement commercialisées sous forme imprimée. Amazon commercialise déjà en France l’offre Kindle Unlimited. Pour moins de dix euros par mois, les internautes sont incités à louer un accès temporaire à l’ensemble d’une base de livres numériques d’environ 700 000 titres, dont 20 000 en français. De nombreuses questions se posent à juste titre sur la gestion des données personnelles ou sur le contrôle des contenus par un acteur privé. Il nous semble pourtant que les bibliothèques ne pourront éviter de recourir à des modèles d’achats et des modèles d’accès proches, à condition que ces points soient soigneusement négociés, logiquement avec l’aide des pouvoirs publics afin de garantir, par exemple, un contrôle des données ou une portabilité des données d’une offre à l’autre.

Or, le projet PNB (prêt numérique en bibliothèque) propose une infrastructure aux bibliothèques leur permettant de gérer du prêt numérique et de l’achat à l’acte par l’entremise des libraires. Ce projet représente un levier de développement des offres de livres numériques pour les bibliothèques par un acteur unique – Dilicom – comme tiers de confiance pour les transactions. Au regard des situations étrangères, il nous semble très positif d’avoir un acteur unique là où les bibliothécaires américains souffrent de l’hétérogénéité des modèles d’achat et des modèles d’accès au livre numérique.

Pourtant, le modèle d’accès contractuel actuellement mis en œuvre est la vente titre à titre. Elle constitue un terrain très favorable à l’émergence d’un droit de prêt numérique compensé par titre, dans une logique de compensation qu’on voit déjà poindre en Belgique[53]. Mais, il existe d’autres possibilités : les modèles d’achat à l’abonnement (comme pour Spotify dans le domaine musical, par exemple), si imparfaits soient-ils, ont au moins l’avantage de sortir de l’idée de « constitution de collection » et de nous déshabituer à la gestion de droit par titre… Dans ce dernier cas, ce qui est acheté c’est un droit à d’accès à une base complète.

Si la vente à titre s’installe, le mimétisme avec l’univers de la rareté sera complet, serons-nous alors capables de négocier des diminutions des restrictions des usages sur le modèle américain? À quels coûts? Devoir choisir entre des restrictions d’usage ou des budgets prohibitifs, est-ce le futur du livre numérique pour les bibliothèques? Dans ce contexte, nous pensons que de miser sur des offres dont on loue des accès « dans les nuages » avec des modèles d’accès contrôlés à l’abonnement, quitte à devoir négocier des tarifications à l’usage les plus proches des usages réels, est moins pire que d’investir massivement dans quelques milliers de titres achetés à prix d’or.

Au fond, on voit bien que la question est : faut-il constituer des collections présélectionnées dans une logique d’acquisition-médiation sur une offre étroite, ou se connecter à de vastes entrepôts de flux pour donner une illusion d’illimité à des publics en pratiquant des politiques de médiation fondées sur le conseil et l’aide aux choix?

Faut-il donc demander à des acquéreurs de livres imprimés de se procurer des livres numériques et d’en assurer une médiation? Ne faut-il pas plutôt négocier des accès et concentrer alors l’énergie sur la médiation? Il nous semble tout à fait évident que de passer du temps à constituer, hors des bibliothèques patrimoniales, des collections de livres numériques titre après titre dans toutes les bibliothèques publiques françaises représente des ressources en temps de travail et en argent public considérables. Si le numérique permet d’avoir accès à énormément d’information à coût très faible, pourquoi se priver d’offrir le choix le plus vaste? Ce tropisme de la « collection numérique » chez les bibliothécaires fait oublier que l’existence d’une collection imprimée n’est que la conséquence de la rareté de l’espace disponible dans les bâtiments que sont les bibliothèques. Le numérique permet de briser cette rareté, ce qui déplace l’enjeu de la collection vers la médiation des contenus.

Voilà qui plaide à notre sens pour des solutions qui permettent de proposer une offre la plus vaste possible in situ et à distance, de manière à donner une « illusion d’illimité » à des publics qui ne devraient pas se sentir frustrés par la disponibilité de tel ou tel titre, mais par la difficulté à choisir entre tel ou tel autre. Ce sur quoi il nous semble important de concentrer des moyens, c’est bien l’expérience de l’utilisateur, pas le tropisme de collectionneur du bibliothécaire. Maintenir la volonté de constituer des collections revient enfin à constituer des enclos là où on devrait pouvoir pratiquer des recommandations à grande échelle. N’est-il pas formidable de pouvoir proposer tous les Que-sais-je en lecture en continu par l’entremise de Cairn aujourd’hui, sans que chaque bibliothèque n’ait souhaité y refaire sa propre sélection? C’est bien de réservoirs de contenus sous droits pour faire de la médiation dont nous avons besoin.

Le paysage de la musique numérique a lui aussi considérablement évolué en quelques années. Deezer, Spotify sont apparus respectivement en 2007 et en 2006, Apple music et YouTube Red en 2015. Pour environ 10 euros par mois, chacune de ces offres permet de bénéficier de manière illimitée d’un accès contrôlé à l’abonnement à des dizaines de millions de titres de musique. Au fond, la question est très simple : à quoi sert-il de constituer des collections musicales quand presque toute la musique du monde est sur Internet?

YouTube, service offert par Google, est très particulier par rapport aux autres : il mélange contenus professionnels et amateurs, et ne donne aucune indication sur le nombre de titres en ligne, mais exerce une domination écrasante en matière de fréquentation. Selon une étude de la Hadopi[54], les usagers se constituent massivement leurs collections avec ce qui est disponible en ligne, en particulier sur YouTube :

Un quart des internautes interrogés l’ont utilisé pour télécharger des chansons durant la semaine d’observation. Cela met en lumière l’importance du ripping. Cette pratique consiste en l’extraction de données — par exemple sur une vidéo YouTube — afin de les convertir dans un format que l’on peut enregistrer sur son ordinateur. Dans le cas de la musique, de nombreux sites proposent aux internautes de « ripper » leurs vidéoclips préférés afin d’en récupérer la bande-son sous forme d’un fichier MP3. Cette pratique se retrouve aussi pour les films et les séries télévisées, mais de manière bien plus marginale.

Dans cette abondance, une seule question est posée aux internautes : que choisir? Que l’on mesure de fragilité des obstacles techniques à un accès à quasiment toute la musique du monde avec le lancement éphémère d’un service illégal comme HipHop[55] qui propose 45 millions de titres en un clic!

Les bibliothécaires ne peuvent plus attendre un cadre juridique leur permettant d’agir dans des conditions idéales au risque de se marginaliser. Est-il encore nécessaire de dépenser la moindre énergie à négocier une offre musicale légale pour des usages collectifs en bibliothèque alors que des millions de titres sont à portée de main?

Le choix d’un bibliothécaire musical aujourd’hui n’est plus seulement quoi acheter (pour ceux qui maintiennent des collections de CD), mais surtout quelles listes de lecture proposer et sur quelles plateformes? Doit-on choisir Deezer, Spotify, YouTube ou d’autres? Pas simple quand il faut choisir la plus ouverte et la plus facile d’accès, celle qui permet d’exercer une médiation efficace. Les hésitations viennent souvent du fait que les conditions juridiques ne sont pas adaptées aux usages collectifs. Mais faut-il rappeler que par exemple en France, toutes les médiathèques qui prêtent des CD le font dans l’illégalité la plus totale? Nous y voyons une incitation à avancer dans un environnement juridique qui doit s’évaluer au regard du risque de contentieux et pas du strict respect de règles inadaptées…

De nombreuses bibliothèques ne se posent plus ces questions et proposent des listes de lecture sur Deezer, Spotify ou YouTube. Pour certains, aux obstacles juridiques s’ajoutent des réticences quasi morales : toutes ces plateformes d’œuvres sous droits imposent de la publicité à leurs utilisateurs et il est de plus en plus fréquent de trouver des publicités en introduction d’une vidéo sur YouTube. Y puiser des ressources revient à renforcer leur puissance… Mais après tout la publicité est-elle absente de nos collections imprimées? Songeons aux magazines que nous diffusons largement dans les bibliothèques… Oui, ces entreprises sont des régies publicitaires, à tendance monopolistique, préoccupantes du point de vue de leur gestion des données personnelles des utilisateurs. Nombreux sont les bibliothécaires qui sont très conscients de ces enjeux, mais doit-on pour autant ne plus jouer notre rôle? A-t-on des préoccupations similaires lorsqu’il s’agit de l’industrie des jeux vidéo, qui, faut-il le rappeler, génère un chiffre d’affaires infiniment plus élevé que la musique et constitue la plus grande économie de l’attention de la planète? Et davantage, n’y a-t-il pas un enjeu plus fort qui est celui d’y être intelligemment, humainement, passionnément? Dominique Cardon a raison d’appeler au désalignement des algorithmes de recommandations[56], et pour nous la meilleure manière de le faire est de s’intéresser de près aux communautés d’intérêts de la musique, de montrer que la force de la recommandation ne peut se résumer à des calculs aux critères opaques.

Les algorithmes de recommandations automatisés représentent en effet des investissements considérables en R et D, mais remplacent-ils des communautés de passionnés qui échangent à partir d’objets culturels en se les appropriant? Ces communautés ne constituent-elles pas des communs que nous devons encourager et qui pourront survivre à tous les YouTube de la planète? N’est-ce pas en soutenant ces communs-là où ils sont que nous serons à même d’encourager de nécessaires mouvements de régulation du Web? La meilleure garantie contre les abus de ces plateformes n’est-elle pas la force de la pression des utilisateurs et utiliser la force de l’adversaire, à la manière du ju-jitsu?

Antonio Casilli, dans un excellent article intitulé Contre l’hypothèse de la fin de la vie privée[57], liste les mouvements de protestation des utilisateurs de Facebook. Il révèle dans le tableau[58] qui suit l’efficacité de la pression des usagers du réseau sur la gouvernance du réseau lui-même[59].

Tableau 1. Séquence temporelle des incidents liés à la vie privée sur Facebook

À notre échelle, nous pensons que la responsabilité de chaque bibliothécaire doit être de se situer au cœur des pratiques pour y rendre lisible la possibilité qu’a chacun d’y développer ses goûts musicaux. Soyons clairs : aucune de ces plateformes ne représente de solution pérenne à ce qui est un problème global d’investissement dans les pratiques amateurs et de constitutions de jardins fermés du Web comme nous l’avons décrit dans les chapitres précédents.

Pour les professionnels de la médiation des savoirs par le numérique que nous sommes, l’enjeu devient celui de rendre visibles des sélections dans les flux et surtout de tisser une confiance avec des communautés d’intérêts musicales susceptibles de les suivre. Bien sûr, on peut le faire à l’échelle locale ou en mettant en avant la musique libre, mais n’est-il pas temps de changer d’échelle?

Trop souvent dans les bibliothèques les politiques documentaires ont été tirées vers une gestion raisonnée des collections sans véritablement prendre en compte la médiation de ces collections. Accueil d’un côté, contenus de l’autre. Il nous semble que le triptyque contenus, publics, médiation est bien plus fondamental.

L’examen du modèle d’acquisition de livres numériques « conduite par les usagers » permet de comprendre la nature du changement de paradigme de la notion de collection[60].

Actuellement, la nouvelle génération de bibliothécaires universitaires ne souhaite plus faire d’acquisitions just-in-case, c’est-à-dire « au cas où » les utilisateurs auraient potentiellement envie ou besoin de lire ces documents. La bibliothèque participative opte plutôt pour un nouveau modèle, appelé just-in-time, c’est-à-dire « au bon moment », qui permet aux usagers de choisir les livres qu’achètera la bibliothèque. On parle soit de Patron-Driven Acquisitions (PDA) (acquisition déterminée par l’usager), soit de Demand-Driven Acquisitions (DDA) (acquisition à la demande). Dans les deux cas, l’acquisition des ressources n’est plus exclusivement du ressort du bibliothécaire, spécialiste de l’identification des œuvres de qualité et des besoins informationnels des usagers, mais orientée par les usagers eux-mêmes.

Concrètement, les usagers identifiés peuvent rechercher et consulter l’un des livres numériques au sein d’une offre de dizaines de milliers de titres pendant quelques minutes sans faire subir de frais à la bibliothèque. Après quelques minutes, une fenêtre apparaît sur l’écran, demandant à l’usager s’il souhaite continuer à accéder au livre numérique. Si l’usager le souhaite, la bibliothèque est créditée d’une utilisation de livre numérique. Il peut alors continuer à utiliser le livre pendant dix jours sans frais supplémentaires pour la bibliothèque. À la quatrième utilisation d’un titre, un « achat » automatique est effectué sur le budget de la bibliothèque et le livre numérique est ajouté à la collection permanente. Il devient alors accessible à tous les usagers.

Les résultats sont spectaculaires. Selon cette étude[61] menée sur 11 bibliothèques qui ont utilisé ce service entre 2006 et 2009 sur une offre d’environ 30 000 livres numériques et plus de 200 000 accès, il a été démontré que l’offre constituée par les usagers :

  • est de deux à cinq fois plus utilisée que l’offre présélectionnée par les bibliothécaires;
  • génère une audience de deux à trois fois plus large que les celle constituée par les bibliothécaires (en visiteur unique par titre);
  • propose une répartition des sujets similaire à celle constituée par les bibliothécaires.

Il faudrait nuancer le dernier point en précisant qu’il s’agit d’un contexte universitaire où les enseignants sont fortement prescripteurs et dans ce cas sûrement acheteurs également, ce qui peut expliquer la proximité de la répartition des sujets avec une offre présélectionnée.

Les avantages d’un tel système sont évidents : les coûts d’acquisition sont bien moindres pour les bibliothèques et le modèle est de nature à rendre lisible l’usage collectif en utilisant les usagers comme co-créateurs d’une sélection au sein d’une abondance présentée comme illimitée. Cette « illusion d’illimité » est fondamentale puisqu’elle permet de reconnecter une offre légale à des pratiques d’accès ancrées dans l’univers numérique. L’avantage principal sur le plan budgétaire peut néanmoins poser un sérieux problème : dans ce modèle, tous les contenus de la collection ont été demandés; priorité absolue à ce qui est utilisé par les usagers, donc. Voilà qui heurte le modèle républicain de la bibliothèque comme outil d’émancipation qui propose des contenus dont le besoin est reconnu d’utilité publique qu’ils soient utilisés ou pas.

Ce modèle fera peut-être bondir certains bibliothécaires parce qu’ils auront l’impression d’être dépossédés de leur prérogative historique : la sélection dans l’abondance pour constituer une offre. En rendant transparent et immédiat l’acte d’acquisition, son sens est en effet profondément questionné. Pour les objets tangibles, il symbolisait l’entrée progressive dans l’espace commun socialisé de la bibliothèque par le truchement d’un professionnel apte à « valider » la légitimité de tel ou tel contenu pour l’intérêt général. On mesure le bouleversement avec le fait que dans un tel système, une acquisition est simplement le changement automatique des droits d’accès autour d’un fichier ou d’un ensemble de flux que n’importe quel usager peut effectuer en échange de son attention. Qui ne voit que cet aspect peut être effaré du mécanisme, de sa froideur versus l’humanité du bibliothécaire dont la qualité de l’attention est pourtant validée par des compétences. En réalité, les usagers sont tout aussi humains, la sagesse de la foule leur confère une variété et une diversité de compétences que n’auront jamais les bibliothécaires.

Quelle est alors la légitimité de l’institution à donner accès à tel ou tel contenu? Que devient la sacro-sainte « politique d’acquisition » si les usagers deviennent acquéreurs et peuvent prendre le contrôle de la collection? Qu’est-ce qu’une collection dans ces conditions?

Au fond, les deux étapes de la politique documentaire traditionnelle — construction d’une offre par anticipation de besoin collectif, puis ajustement de cette offre à des demandes à l’aide de statistiques de prêt ou des demandes ponctuelles d’usagers — sont ici fusionnées. L’ajustement se fait en temps réel entre une offre et une demande de contenu, la bibliothèque n’est plus un espace d’accès à des contenus exclusifs, mais joue le rôle d’un « tiers de confiance » à distance dont le rôle est au minimum de rendre pérenne, en sortant du flux, un certain nombre de contenus jugés importants parce qu’un nombre d’usagers fixé à l’avance y aura consacré suffisamment de temps d’attention. La collection ici devient une enveloppe virtuelle extraite du flux.

On le voit, les frontières se brouillent entre l’offre publique et l’offre privée. Si le rôle de la bibliothèque se borne à la pérennité des contenus qu’elle propose, alors elle ne tardera pas à être un intermédiaire inutile dans un monde ou la mémoire publique sera (en dehors du dépôt légal assuré par les institutions comme la BnF en France et la BAnQ au Québec) de plus en plus dure à justifier et dans lequel le critère de valeur c’est l’attention. Rappelons à ce propos que l’écrasante majorité des bibliothèques n’a pas du tout vocation à conserver les documents qu’elle propose, mais bien à les faire circuler. Il nous semble dès lors assez logique de plaider pour des modèles d’accès à l’abonnement.

Si l’on imagine la combinaison des deux systèmes : associer une présélection de contenus exclusifs choisis par des bibliothécaires avec une partie de l’offre constituée par les usagers, on voit que ce qui reste important n’est plus tant de répondre à une demande puisque celle-ci s’exprime et trouve naturellement satisfaction, mais de propulser telle offre, telle pépite auprès de tel type d’usager pour permettre une rencontre. Demeure ainsi le besoin de sélection dans une offre par le bibliothécaire. En se déchargeant de la velléité de pleinement satisfaire une demande dominante (les best-sellers) et du soin apporté à la collection, le bibliothécaire peut libérer son énergie à sélectionner et à propulser tel ou tel contenu de niche associé à telle demande dominante exprimée tout en continuant à anticiper des besoins collectifs. Un tel bouleversement amène à modifier notre pratique des politiques documentaires.

En somme, il s’agit d’inverser la perspective des deux plans : construire une offre autour d’une demande exprimée en la tirant vers des besoins collectifs au lieu d’anticiper des besoins collectifs puis de les ajuster à une demande exprimée.

Pour rendre « acceptable » un tel modèle sans heurter un « fondamental de la profession », un fournisseur habile devrait donc le présenter non pas comme la bibliothèque créée par les usagers, mais comme un équilibre à trouver entre une présélection par des bibliothécaires enrichie par une « post-sélection » par des usagers nourrie par des dispositifs et des services de médiation. Voilà un modèle qui semblerait tout à fait prometteur : co-acquisition avec les usagers et illusion d’abondance sur fond de promesse de maîtrise des coûts et vente de services de médiation…

L’examen du modèle des acquisitions conduites par les usagers met en relief la nécessité de dispositifs de médiation capables de guider dans une « illusion d’illimité ». Hors des mondes clos de contenus sous droits, la démarche est finalement celle de tout internaute devant orienter ses parcours à partir de recommandations et d’usages construits. La chercheuse en sciences de l’information Louise Merzeau[62] résume parfaitement l’enjeu :

Le régime de la recommandation ne suspend pas le principe d’autorité, mais il en modifie profondément l’architecture. Face au risque permanent de saturation informationnelle, chaque usager doit mettre en place les filtres qui canaliseront une offre excédant toujours de très loin sa demande. Non seulement il n’y a plus de silence documentaire possible (Google ne répondra jamais « Votre requête ne ramène aucun résultat »), mais la multitude des résultats n’est plus traitable en termes de hiérarchisation ou de comparaison. Dès lors, l’enjeu n’est plus, comme dans la matrice bibliothécaire, d’ouvrir le choix sur une pluralité ordonnée de textes à confronter, mais au contraire de le refermer sur les quelques sites, tweets ou posts qui pourront économiser la recherche. Dans ce contexte, l’internaute autonome n’est pas celui qui s’en remettrait à son seul jugement pour parcourir au hasard le réseau, mais bien celui qui saura identifier, en amont, des curateurs pour orienter ses élections et, en aval, des followers pour les propager. Par cercles concentriques ou arborescences réticulaires, sa souveraineté s’exerce à travers un système de souscription, lui permettant d’inscrire ses choix sous l’autorité de…, et d’agir sur les distances informationnelles qui rapprocheront ou éloigneront tel contenu de son périmètre de lecture. « On ne navigue plus, on ne recherche plus, on s’abonne, on “souscrit”. […] “Souscrire”, “sub-scribere”, littéralement “écrire en dessous”.[63] » C’est de ces architectures de confiance que dépend la probabilité qu’un internaute se trouve confronté ou non à une information, l’architecture de l’information étant elle-même constamment réagencée en fonction de ces médiations affinitaires.

Ainsi, il nous semble essentiel de questionner la pratique exclusive des « coups de cœur » déclinés sur tous les tons et systématiquement envisagés dans une logique de valorisation des collections, c’est-à-dire de mise en relief positive et désincarnée là où l’offre est abondante. L’enjeu est non seulement de repérer le positif, mais aussi de contribuer à l’élaboration du jugement de goût des publics. Ce dernier se détermine d’autant mieux qu’on affirme des choix, qu’ils soient positifs, négatifs ou nuancés. Ce sont ces choix qui, parce qu’ils sont incarnés et justifiés, développent des logiques de confiance. Du point de vue de l’économie de l’attention, les critiques positives auxquelles on peut assimiler les coups de cœur ont même un impact négatif sur les ventes. Panagiotis Ipeirotis, à la tête du projet EconoMining de l’école d’affaires Leonard Stern de la New York University, a même montré qu’une critique positive diminue de 0,2 % les ventes[64]. Comment expliquer ce phénomène? Lorsque le temps est rare, les systèmes de notation et de critiques permettent d’évaluer le risque d’une mauvaise expérience esthétique. Par définition, les contenus culturels sont des biens d’expériences (on ne peut que se faire une idée de l’expérience esthétique avant de la vivre) qui doivent nécessairement faire l’objet d’une évaluation permettant aux publics de faire un choix. En pratiquant des coups de cœur exclusifs, les bibliothécaires n’aident pas au choix, mais pratiquent une forme de ce qui est assimilable à une promotion alors même qu’ils n’ont aucun intérêt à faire en sorte que tel ou tel contenu soit consulté et qu’ils sont parfaitement libres de mettre en œuvre des dispositifs de recommandation plus élaborés, capables d’aider à s’orienter dans la masse des contenus. À notre sens, c’est bien au prix de l’abandon des pratiques exclusives de valorisations positives que les bibliothécaires pourront s’inscrire dans les enjeux de la longue traîne et déployer des dispositifs de médiation des savoirs efficaces.

Ainsi, l’enjeu n’est plus dans l’acte d’acquisition — qui reste nécessaire —, mais de sélection et de recommandation dans un espace ouvert ou un espace dans lequel se déploie une masse de contenus suffisante pour donner l’illusion de l’illimité et permettre de créer une sélection qui fera sens. Voilà qui devrait selon nous, au minimum, plaider pour que l’activité d’acquisition-constitution des collections dans les bibliothèques voie son prestige symbolique diminuer au profit du véritable enjeu qu’est la médiation.

Par ailleurs, toute forme d’offre légale de contenus tend à se transformer au fil du temps en une « licence globale privée », comme on le voit avec les formules d’abonnement illimité financées par de la publicité. C’est ce que résume Philippe Axel dans cet article du Monde[65] :

L’abonnement illimité est une forme de licence globale, mise en place par les acteurs les plus puissants du marché, à leur seul profit, et dont très peu de responsables de cette filière, très étrangement, ne contestent les modes de redistribution des recettes en fonction des usages aux créateurs, alors qu’ils expliquent par ailleurs que ce serait impossible à accomplir dans le cadre d’une contribution globale dans l’abonnement Internet. Ce modèle va de pair avec une logique de marketing ciblé et donc d’espionnage à grande échelle de nos mœurs culturelles. Et il va de pair aussi, avec l’interdiction des échanges non marchands; et donc une surveillance et une répression de ces usages sans quoi rien ne sera possible, que ce soit par une Hadopi ou directement par le juge. Une licence globale « publique », décidée et organisée par le législateur, serait infiniment préférable à ces licences globales « déguisées » qui se cachent derrière certaines offres légales.

Au contraire, nous pensons que le modèle de la contribution créative[66], qui est défendu notamment par la Quadrature du Net, a affiné les propositions de la licence globale et gommé plusieurs des risques possibles de dérives. Le schéma ci-dessous[67] résume très bien les différentes approches qui visent toutes à dépénaliser le partage non marchand d’œuvres entre individus tout en finançant la création. Philippe Aigrain, cofondateur de la Quadrature du Net estime que de 5 à 7 euros par mois par abonné représenterait de 1,2 à 1,7 milliard d’euros par an[68]. En prenant en compte la création dans son ensemble, jusque dans les productions des amateurs qui foisonnent sur la Toile, elle constitue une solution bien mieux adaptée aux évolutions induites par le numérique, justement parce qu’elle ne s’appuie pas sur la distinction entre le légal et l’illégal : ces propositions reposent sur la reconnaissance de droits culturels fondamentaux des individus et — attentives aux fonctions éditoriales à valeur ajoutée — prennent en compte les vrais défis de l’ère numérique, ceux de la multiplicité des contributeurs et des œuvres.

Figure 4. Synthèse des propositions autour de la licence globale

Songeons-y ne serait-ce qu’un instant : la reconnaissance financée du droit au partage non marchand des œuvres signifierait la fin de la recherche de la « bonne offre légale » sans verser un instant dans le tout gratuit, mais au contraire en donnant à la création plus d’argent qu’elle n’en a jamais eu! Alors même que le ministère de la Culture français s’intéresse aux usages non marchands, il nous faudrait au fond militer pour une seule mesure : les personnes morales agissant sans but lucratif doivent pouvoir bénéficier des mêmes possibilités que celles consacrées au profit des individus dans le cadre des échanges non marchands. Au-delà de la question étroite du livre numérique, sommes-nous prêts à soutenir de telles propositions?

Yves Janneret, professeur des universités en sciences de l’information et de la communication écrivait en 2005[69] :

De ses origines religieuses (les anges et les prêtres sont médiateurs entre Dieu et les fidèles) et juridiques (la médiation est la tentative de conciliation dans un procès) le terme conserve plusieurs de ses valeurs : évoquant une image topologique (le médium, c’est le milieu entre deux points) il peut comporter l’idée d’intermédiaire (la communication passe par des objets et des agents), de compromis (le social procède d’une entente), de travail (la culture procède de transformations).

[…]

L’inventaire des pratiques ne suffit pas à comprendre l’importance des médiations dans l’institution de la culture et de la société. La médiation est aussi ce qui distingue une société d’une simple collection d’individus, c’est un « tiers » symbolique (ensemble de valeurs, de pratiques partagées, de lieux de mémoire) qui d’une certaine façon transcende le quotidien des échanges. […] Toutes ces questions sont en débat aujourd’hui, ou devraient l’être et ce débat engage nécessairement les trois dimensions ici évoquées de l’acte de médiation : son substrat technique (quels dispositifs?), ses procédures politiques et professionnelles (quels acteurs, quels métiers, quels lieux?), son sens culturel et social (quelles valeurs, quels principes?).

Ainsi, aucune désintermédiation n’est à déplorer, mais il nous faut comprendre les dynamiques de réintermédiations commerciales, juridiques, techniques et même cognitives qui sont à l’œuvre. Le rôle des professionnels de l’information se recompose au sein d’un écosystème dont ils n’ont jamais été et ne seront jamais le centre. Dans l’économie de la longue traîne, les médiateurs enrichissent un écosystème informationnel global, au même titre que les amateurs.

Même si le terme médiation peut sembler flou à première vue du fait de l’inflation de son emploi, il nous semble particulièrement important à conserver par l’idée de lien et d’accompagnement humain qui le fonde. Il s’oppose radicalement à la prescription traditionnellement employée dans le champ de la médiation culturelle. La posture de domination symbolique et les connotations médicales de la prescription relèvent d’une conception dépassée de l’action culturelle radicalement contraire à une approche vicariante de l’apprentissage[70]. En clair, il ne s’agit plus de faire en sorte d’être les passeurs d’un champ culturel légitime conçu comme une boussole identitaire exclusive, mais d’engager des dialogues au sein de communautés d’intérêts dans lesquelles il s’agit de se repérer autant que de contribuer à établir un certain nombre de repères informationnels. Plutôt que de prescription, il nous semble plus juste d’employer le terme de recommandation dont la légitimité ne se fonde pas sur la posture institutionnelle de celui qui prescrit, mais bien sur les connaissances et les capacités relationnelles de celui qui recommande, fut-il ou non situé dans une institution culturelle légitime. Il nous semble également important de souligner le lien très fort qui existe à notre sens entre la médiation et la curation de contenus, entendue selon la définition inscrite par les contributeurs de Wikipédia[71] :

La curation de contenus (étymologiquement du latin curare : prendre soin et de l’anglais content curation ou data curation) est un néologisme en français correspondant à une pratique qui consiste à sélectionner, éditer et partager les contenus les plus pertinents du Web pour une requête ou un sujet donné. La curation est utilisée et revendiquée par des sites qui souhaitent offrir une plus grande visibilité et une meilleure lisibilité à des contenus (textes, documents, images, vidéo, sons) qu’ils jugent utiles aux internautes et dont le partage peut les aider ou les intéresser.

Cette activité de curation de contenu est à notre sens consubstantielle à la médiation numérique des savoirs. L’activité de médiation numérique des savoirs suppose des dispositifs de recommandation et d’accompagnement des usagers dans lesquels les bibliothécaires peuvent adopter des postures qui ne sont pas neutres et qui peuvent s’exercer aussi bien en ligne (services de questions-réponses) que sur place (« emprunter un bibliothécaire »). Ainsi, au sein même de l’activité de recommandation et d’accompagnement il est possible d’adopter une typologie plus fine du positionnement des bibliothécaires en reprenant les distinctions opérées par le chercheur Jacques Rodet à propos du rôle des tuteurs dans la relation pédagogique[72]. En effet, Jacques Rodet détermine trois types de positionnement en s’appuyant sur la problématique de la distance et de la relation personnalisée qui peut se déployer au sein d’une relation visant à permettre un apprentissage.

Trouver la bonne distance c’est permettre l’apprentissage en tentant de personnaliser la relation. Ainsi, il est possible de se positionner comme guide, ce qui suppose de baliser de manière très forte le parcours des usagers en proposant des parcours de manière proactive tout en expliquant la marche à suivre (cours en ligne, e-learning sur la culture de l’information, accompagnement personnalisé). Cette posture est plus utile pour ceux qui ont des difficultés à formuler leurs questions et hésitent à demander de l’aide. Elle peut s’exercer dans l’activité de formation des bibliothécaires au sein des universités, mais semble moins présente dans les activités de médiation des bibliothécaires territoriaux. La posture du modèle est assez proche, mais elle va insister sur la manière d’apprendre en rassurant sur la gestion et la planification des apprentissages. Dans un service en ligne comme celui proposé par la Ville de Lorient — Je ne sais pas quoi lire[73] —, la posture du conseil suppose que le bibliothécaire manifeste sa présence par l’existence du service, mais attende les sollicitations des usagers. Enfin, la posture du support est la posture souvent adoptée dans les dispositifs de contact sur place ou à distance avec les bibliothécaires, c’est-à-dire une présence essentiellement réactive. Ces positionnements peuvent constituer le socle d’une réflexion sur la stratégie de médiation que va engager une bibliothèque. Une réflexion à ce sujet vise à sensibiliser les professionnels de l’importance d’une posture bienveillante au regard du niveau de maîtrise des contenus par des usagers. Entre les deux extrêmes d’une forme de mépris culturel et la soumission à des demandes des produits de divertissement, les bibliothécaires doivent trouver une manière de recommander sans juger pour accompagner une navigation féconde dans la longue traîne telle qu’abordée dans les chapitres précédents. Par exemple, les règles internes au fonctionnement du service de recommandation d’Eurêkoi mentionnent l’importance de répondre aux demandes des internautes tout en proposant un « titre d’ouverture » permettant un décalage sur le mode « Si vous avez aimé, vous aimerez peut-être » de manière à inciter sans aucune algorithmie à des parcours d’usages inédits pour les internautes, mais rendus possibles par la proximité avec la demande initiale. Nous voyons là une manière très concrète de mettre la sérendipité au service de la longue traîne. Le schéma ci-après[74] synthétise les positionnements proposés par Jacques Rodet.

Figure 5. Places et mobilité des tuteurs dans un digital learning

Ces réflexions sur le positionnement ont aussi pour fonction d’éviter toute naïveté dans ce qui peut constituer une idéologie hors-sol de l’Internet. Celle-ci est très bien décrite par Dominique Cardon[75] :

La grande idéologie qui accompagne l’avènement d’Internet et des nouvelles technologies, c’est celle de l’empowerment qui nous vend la figure d’un individu libre, entrepreneur de sa propre vie, autonome, mobile et réactif. Quand on s’intéresse par exemple aux usages d’Internet au sein des classes populaires, on se rend très vite compte du fait que les phénomènes d’appropriation ne sont pas toujours habilitants. Les individus et les dispositifs techniques en tant qu’ils sont appropriés par ces derniers sont, comme le dit Pierre Bourdieu, « situés en un lieu de l’espace social ».

Les usages sont liés aux appréciations, envies, intérêts, goûts et sens pratiques de ceux qui les mobilisent. Ils sont le résultat d’un ajustement complexe entre une histoire sociale incorporée (la manière dont les usagers perçoivent leur environnement) et la mobilisation d’un dispositif technique qui est lui-même constitué d’une combinatoire de mondes sociaux et culturels.

Il nous semble essentiel de ne pas considérer le numérique comme une valeur en soi ou comme un savoir supérieur, mais bien comme un ensemble de pratiques, une disposition d’esprit (habitus) favorable aux apprentissages. La médiation numérique des savoirs se distingue donc de la médiation des savoirs numériques. Le rôle des bibliothèques n’est pas de former exclusivement aux usages raisonnés de l’information, mais aussi de contribuer à la diffusion des connaissances, au-delà des méthodes et usages permettant de la développer. Contribuer au développement de centres d’intérêt, construire une présence en ligne nous semble répondre à la nécessité d’une émancipation au sens où l’entend Jacques Rancière. Il ne s’agit pas d’enseigner un « savoir numérique », mais bien de contribuer à des possibles déjà là. Ce type d’émancipation ne postule pas l’inégalité des intelligences, mais leur égalité.

Jacques Rancière prend pour point de départ dans Le maître ignorant[76] l’autonomie de l’intelligence à laquelle il enseigne. Il tente ainsi d’abolir la violence symbolique intrinsèque à l’acte de transmettre un savoir du haut d’une posture d’autorité. Il ne cherche pas à transmettre, mais à faciliter. C’est bien deux conceptions philosophiques qui se distinguent, avec d’un côté la maïeutique socratique qui cherche à mener de la meilleure manière possible à une vérité établie, et de l’autre côté l’approche spinoziste qui refuse l’admiration confiée au maître qui fait sentir à l’élève sa propre impuissance et qui met le désir d’apprendre au centre de la démarche. Les modes d’apprentissages dits vicariants nous semblent prendre une importance très forte dans un cadre d’accompagnement pédagogique scolaire, mais aussi en dehors. Ils supposent une observation active et une réappropriation de ce qui est observé. Il nous semble que les apprentissages dans un monde numérique sont en permanence confrontés alternativement à ces deux approches, là où une logique socratique exclusive dominait. Sans préférer définitivement l’une ou l’autre, les apprentissages dans un monde en réseaux et l’accès à un immense volume de connaissances interrogent des autorités professorales entièrement fondées sur une transmission dans un espace-temps clos, là où ce sont des logiques de captation des attentions qui sont mises au premier plan. Nous verrons dans le deuxième chapitre comment tirer profit de la combinaison de ces approches au service de la mise en œuvre d’un projet de médiation numérique des savoirs. Olivier Ertzscheid exprime très justement ce déplacement du rôle des professeurs dans un cadre pédagogique[77] :

Leur rôle consistera à s’assurer que les élèves ont bien compris qu’ils pourront y revenir plus tard. Quand ils en auront réellement besoin. Parce que l’on n’a presque jamais réellement besoin des savoirs qui nous sont transmis, au moment où on nous les transmet. C’est l’une des plus belles opportunités du numérique que de rendre possible une appropriation consentie, une appropriation […] centrée sur un désir et non plus sur un programme. C’est aussi l’une des tâches les plus difficiles pour un enseignant à l’heure du numérique, que d’assurer la médiation, la mise en scène de cette rencontre entre un désir d’apprendre et un moment de connaissance.

Ainsi, la médiation numérique des savoirs nous semble-t-elle s’inscrire du côté de la « culture des amateurs », du côté des autodidactes en réseau, bien plus que de celui des amateurs de culture. Si le terme de culture doit être employé, c’est à notre sens bien plus du côté de la constitution d’habitus informationnels et de culture de l’information que comme le fait de circonscrire dans un champ uniquement culturel une médiation qui a vocation à s’exercer de manière encyclopédique. Il ne s’agit donc pas d’apprendre la culture par le numérique parce que la pédagogie à l’ère des réseaux ne s’envisage pas uniquement comme un acte de transmission du savoir depuis une autorité. Les apprentissages dans un monde connecté se situent également du côté de la création asynchrone d’occasions d’apprendre centrées sur le désir de savoir (approche spinoziste). La médiation numérique se distingue donc fondamentalement d’une médiation culturelle par le numérique à laquelle il peut être tentant de la réduire.

L’ajout du terme numérique à celui de médiation se justifie par l’influence décisive de la révolution des « supports de mémoire » (hypomnematas). Même s’il existe des dispositifs de médiation non numérique des connaissances, ce sont bien les changements organisationnels et cognitifs issus de la « révolution des hypomnematas » amenée par le numérique qui justifient l’ajout du terme à celui de médiation. Nous entendons ici ce terme comme celui qui désigne tous les dispositifs sociotechniques qui permettent une mise en contact, un échange et la constitution du sentiment de l’être ensemble dans un espace en commun(s). Ainsi, la notion de médiation numérique se distingue-t-elle de l’apprentissage d’une culture numérique qui n’en est qu’une des composantes. Telle que nous l’entendons, la médiation numérique des savoirs est très proche de la définition que donne Bertrand Calenge de la médiation des connaissances[78] :

La médiation des connaissances est un dispositif humain, fonctionnel, et continu, activement organisé pour l’accroissement des connaissances d’une population, mobilisé par l’identification des besoins cognitifs des personnes concernées, et s’inscrivant dans leurs pratiques et dans la communauté qu’elles constituent.

Nous tenons au terme de numérique pour signifier la pleine prise en compte du contexte nouveau de l’économie de l’attention, des flux et des communs de la connaissance. La médiation numérique des savoirs est une activité fondamentalement humaine, mais elle passe par des dispositifs sociotechniques que les bibliothécaires ne peuvent maîtriser que s’ils ont conscience de ce que le numérique fait à l’information et à la circulation des connaissances telle qu’exposée dans ce livre.

En première analyse, la médiation numérique vise donc à favoriser la rencontre entre des informations et des personnes par des dispositifs. Si l’on donne à cette activité la dimension d’une démarche orientée vers ce qui constitue des enjeux de politiques publiques à l’ère du numérique, on obtient cette définition précise :

La médiation numérique est une démarche visant à mettre en œuvre des dispositifs de flux, des dispositifs passerelles et des dispositifs ponctuels pour favoriser l’accès organisé ou fortuit, l’appropriation et la dissémination de contenus à des fins de diffusion des savoirs et des savoir-faire.

La fortuité fait ainsi référence au bain d’information facilitateur d’une sérendipité active et productrice de sens, d’individuation. Car la sérendipité est un hasard d’autant plus potentiellement heureux qu’il y est aidé, c’est-à-dire, pour prendre une image, qu’il se déploie dans une piscine plutôt que dans un océan informationnel. Sous peine de se transformer en hasard malheureux, en zemblanité, l’activité de naviguer sur le Web suppose un art de vivre le net fait d’équilibres entre sources, consultations de ces sources et partages sur des flux propres à des profils constituant eux-mêmes de nouvelles sources.

Les médias sociaux ont à cet égard une influence majeure. Les professionnels de l’information ne peuvent plus se contenter de collecter ou de repérer des sources brutes, mais doivent rendre lisibles des cercles. À la folksonomie, c’est-à-dire l’indexation libre « par la foule », s’est ajouté la « cerclonomie » : des sélections de propulseurs, de veilleurs. Veiller sur un sujet, c’est donc savoir manipuler des outils, mais aussi, et surtout identifier des cercles capables d’enrichir sa propre expérience de navigation et donc de construire son ou ses identités numériques et sa présence en ligne. On mesure à cet égard l’importance de proposer une médiation entre des envies d’apprentissages et le formidable potentiel des réseaux à développer ces apprentissages en communauté. C’est bien la justesse du positionnement et la pertinence des contenus et des dispositifs de dissémination qui sont de nature à participer à un mouvement global de développement des communs de la connaissance.

Dans cette définition, la notion d’appropriation de l’information est cruciale, puisqu’elle inscrit l’activité au cœur de ce qui constitue l’ADN du numérique : la possibilité de copier et de manipuler l’information pour recomposer de nouvelles formes ou de nouveaux contenus. Il semble ainsi essentiel de positionner l’activité des professionnels de l’information du côté d’une libre réutilisation du pot commun(s) de la connaissance.

L’ajout du terme « documentaire » à celui de médiation numérique nous semble superflu. Le document numérique selon la définition du réseau thématique disciplinaire Documents et contenu[79] comporte trois facettes : le document comme forme (données structurées + mise en forme), comme signe (inscription + sens) et comme médium (inscription + légitimité sociale). Si une partie de l’activité de médiation numérique vise bien à produire ou à faciliter la circulation de documents numériques notamment via un acte éditorial, le terme documentaire donne trop d’importance à la production là où c’est la mise en relation qui est décisive dans l’activité des médiateurs.

La question ne manquera pas de se poser quant à la légitimité des uns ou des autres à s’intéresser à des contenus sans en être eux-mêmes amateurs chevronnés ou spécialistes. Il nous semble que le champ de la médiation suppose que les professionnels de l’information développent des compétences informationnelles leur permettant d’identifier des communautés d’intérêts. Autrement dit, ce qui est demandé à des professionnels n’est pas de se transformer en spécialistes de tels ou tels sujets, mais de produire des contenus intermédiaires[80] (pour reprendre la très juste expression de Patrick Bazin), c’est-à-dire des contenus qui permettent de se repérer sur un sujet, qui en identifient les contours ou les acteurs. Ces contenus sont facilitateurs de l’identification, du suivi ou de l’appropriation d’une communauté d’intérêts. Par cette pratique, les bibliothécaires se font facilitateurs de parcours d’amateurs, supports ou acteurs des communs de la connaissance. Nous rejoignons Bertrand Calenge lorsqu’il souligne la nécessité d’une compétence informationnelle des bibliothécaires pour trouver la bonne information et veiller dans un champ documentaire.

La compétence informationnelle, c’est au fond connaître les bonnes méthodes pour trouver l’information, en effectuer l’analyse critique, en vérifier la pertinence et être capable de la restituer. C’est fondamentalement un savoir-faire bibliothécaire, qu’il faut revisiter à l’aune des flux mouvants d’Internet, des sources possibles en constante évolution, de façon à réadapter la cartographie des sources de référence en fonction de cette géographie mouvante. À la différence de l’époque où seules régnaient les collections physiques et où une bonne connaissance des répertoires bibliographiques suffisait, il n’est pas de « manuel de webographie » permettant de garantir la connaissance des sources numériques ni leur pérennité, ni encore la permanence de leur validité ou pertinence. Le bibliothécaire doit ajouter à ses compétences bibliographiques, qui demeurent extrêmement utiles pour les imprimés ou autres documents physiques, une veille constante qui ne peut paradoxalement se réactiver qu’au moyen des multiples sollicitations de son public.

Par exemple, à l’heure où les identités numériques rendent indexables non pas des documents, mais des profils d’utilisateurs sur des thématiques, il devient essentiel d’en faciliter l’identification : qui sont les amateurs à suivre en ligne sur tel ou tel sujet? À la lumière des phénomènes de bulles informationnelles qui se développent, on mesurera l’importance d’un accompagnement humain dans l’appréhension des sources et des usages de l’information. À cet égard, les services de question-réponse comme Eurêkoi[81] sont précieux. Ce service en ligne ouvert à tous les internautes met en relation des bibliothécaires en réseau qui répondent aux questions posées par formulaire, sur Facebook ou à l’aide d’une application mobile, en moins de 72 h. Le service est gratuit. La Bibliothèque publique d’information est à l’origine de ce service. La Fédération Wallonie-Bruxelles est partenaire de ce service et coordonne le réseau des bibliothécaires belges. Chaque bibliothèque propose sur son site un accès au formulaire. Les publics d’Eurêkoi sont à la fois les publics des sites des bibliothèques et les internautes qui arrivent sur le site ou téléchargent l’application mobile. Inspiré par un service en ligne mis en place par les bibliothécaires de la Ville de Lorient sous le nom Je ne sais pas quoi lire[82] en 2017, le dispositif s’enrichit. Pour répondre aux enjeux de médiation numérique des savoirs, les bibliothécaires proposent des recommandations portant sur des œuvres de fiction dans les domaines suivants : films, séries télé, fiction littéraire, BD, albums jeunesse. Les recommandations sont envoyées sous forme de listes bibliographiques courtes (trois à six titres) comportant le résumé et des liens vers les notices du site SensCritique. L’idée est de tisser un lien personnalisé avec les internautes en répondant de manière subjective à des demandes. À terme, le dispositif pourra impliquer des amateurs volontaires qui recommandent aux côtés des professionnels. Il pourrait aussi se développer vers le développement de parcours faits de rendez-vous d’initiations à un thème ou un genre accompagné par des bibliothécaires ou des amateurs. Eurêkoi se positionne ainsi comme un dispositif numérique de médiation des savoirs destiné à déployer un bouche-à-oreille auprès de ceux qui n’ont pas toujours le réseau personnel pour développer leur jugement de goûts ou les connaissances. Même si la relation est personnalisée et la médiation humaine, la dimension anonyme du service est également importante, par exemple pour des publics en demande de recommandations sur des sujets liés à la santé ou à la sexualité. En 2017, Eurêkoi regroupe une cinquantaine de bibliothèques en France et Belgique et traite environ 4 000 questions par an. Il se compose d’un réseau de plus de 500 bibliothécaires. Presque 15 % des publics qui utilisent le service n’ont pas fréquenté une bibliothèque depuis plus d’un an. On estime qu’une réponse apportée à un internaute qui est publiée sur Internet est vue par 35 internautes, ce qui démultiplie l’impact du service. Comme le souligne Bertrand Calenge[83], la participation à ce type de service ne peut que renforcer le positionnement de médiateur numérique des savoirs :

Le traitement des demandes particulières génère une quantité de travail que certains estiment effectuer au détriment de services moins individualisés. Cette crainte peut être levée en considérant trois éléments :

• Les compétences des bibliothécaires s’accroissent tant sur le plan de l’expertise que de la recherche d’information, de l’expression écrite et de la restitution pédagogique. Cette plus-value est également mise au bénéfice de l’ensemble des services de la bibliothèque, que ceux-ci soient effectués en ligne ou de façon présentielle.

• La proposition de services personnalisés donne une image positive de l’institution, même auprès de ceux qui ne les utilisent pas, mais en ont connaissance : la bibliothèque est perçue comme se mettant au service des besoins des publics.

• Les échanges interindividuels qui sont le lot de ce type de service contribuent en général à enrichir des bases de connaissances qui sont mises à la disposition des publics, facilitant ainsi la réponse à leurs interrogations.

Au-delà de la traditionnelle bibliographie, il devient par exemple essentiel de pratiquer l’art de la liste sous toutes ses formes. Les contenus intermédiaires peuvent tout simplement consister à rendre lisibles l’existence et de telle ou telle communauté d’intérêts. Trop souvent négligée et assimilée à un Internet de l’audience facile, l’efficacité des listes permet pourtant de tisser une continuité de pratique avec les contenus de recommandation proposés par les bibliothécaires (bibliographies, tables thématiques, etc.). Des titres comme « 5 incontournables sur » ou « Le meilleur de », etc. sont ainsi à la fois simples et très efficaces. L’enjeu est de repositionner les professionnels de l’information-documentation du côté de la curation de contenus, de la veille thématique, de l’accompagnement à l’élaboration de dispositifs ponctuels. Le positionnement fondamentalement non marchand et articulé avec l’intérêt général est de nature à donner confiance aux publics, alors même que le monde marchand recommande et conseille pour influencer vers des intérêts particuliers ou pour capter des données orientées vers des usages marchands. Il nous semble qu’il y a là une clé permettant de repositionner et de prolonger sur le Web et dans les territoires l’activité de sélectionneurs de contenus qui a toujours celle des bibliothécaires.

Recherche d’audience, importance du design des dispositifs tels qu’ils seront développés dans le prochain chapitre, ciblages des publics : ces éléments peuvent aisément créer une confusion entre la notion de marketing (public et non marchand) et celle de médiation numérique des savoirs. Nous souhaitons pourtant insister sur les distinctions entre les deux notions.

Le marketing est une discipline managériale qui a été développée dans les années 1950. Elle repose sur l’idée que dans le contexte d’une concurrence commerciale accrue, il ne suffit plus de disposer d’un bon produit et de bons vendeurs : désormais, il vaut mieux cerner les attentes, les besoins et les désirs des utilisateurs pour les anticiper, voire les créer. Bien loin de se réduire à la simple fonction publicitaire, elle constitue une stratégie opérationnelle qui vise à ajuster l’offre aux besoins et aux attentes des clients potentiels, à en assurer pertinemment la distribution et la promotion, puis à faire en sorte que cette offre soit perçue comme une offre de qualité par les usagers. Le marketing public est ce processus d’interrelation dynamique entre des besoins sociaux et les réalités environnementales (démographie, conditions géographiques, économiques et sociales, profils des besoins des différents destinataires).

Le marketing des politiques publiques, et plus particulièrement celui des bibliothèques publiques, repose sur la combinaison cohérente des 4 P (marketing mix) :

  • Le produit : l’offre documentaire et de services;
  • Le prix d’accès à cette offre : abonnement, gratuité, etc.;
  • La place ou la distribution : les formes et les modalités de sa mise à disposition;
  • La promotion et la communication : la publicité de masse, les relations publiques, les actions promotionnelles qui visent les usagers actuels et les usagers ponctuels.

Conçue pour l’entreprise, cette matrice est très compliquée à utiliser au quotidien par les bibliothécaires. Les 4 P s’appliquent bien à une bibliothèque entière conçue comme un seul dispositif de médiation global inséré dans des politiques publiques. Dans cette approche, le produit est souvent assimilé à la collection et le prix, à la tarification dès l’accès aux services. Pour autant, dès que la granularité de la médiation est plus faible que l’échelle d’un établissement, la pertinence de la grille d’analyse devient plus difficile à percevoir. Comment prendre en compte la place ou le prix, par exemple, pour organiser des sélections d’applications mobiles sur une tablette prêtée dans une bibliothèque? Il nous semble que la notion de dispositif de médiation avec ses trois composantes (outils, usages, besoins) permet une bien meilleure articulation de chaque dispositif avec les enjeux formalisés, dans le meilleur des cas, dans une politique documentaire. Plus largement, l’approche des 4 P a été conçue pour proposer des services à la population, indépendamment de la nature de ces services. L’approche de la médiation a été conçue, au contraire, dans une visée spécifique de médiation des savoirs.

Dans un dispositif de médiation, la notion de besoin documentaire oriente l’action à travers un outil qui, lui-même inséré dans des usages, incite le professionnel à ne pas s’appuyer sur une action d’acquisition uniquement, mais sur une démarche de mise en relation. Ainsi, dans le triptyque « objectifs, publics et services », la médiation numérique des savoirs introduit la notion de design. Pour être efficace, le design d’un dispositif doit être non seulement réussi, mais bien orienté du point de vue du besoin documentaire auquel il s’agit de répondre. En ce sens, les 4 P du marketing des organisations non marchandes nous semblent trop centrés sur la description des paramètres d’un service et pas assez sur la conception d’un dispositif. Il est à noter que dans les années 1980, le marketing mix 4 P a été remplacé par le modèle des 7 P, qui dans le cas particulier des services et des points de service propose d’enrichir le modèle de base en ajoutant d’autres catégories comme :

  • Process (processus) : caractérisé par l’interaction avec le client (p. ex., accueil, conseil, horaires d’ouverture, etc.);
  • People (gens) : capacités de la force de vente (p. ex., présentation, formation, etc.);
  • Physical evidence ou physical support (support physique) : composantes matérielles du magasin (p. ex., vitrine, organisation des rayons, etc.), du service (p. ex., rapport annuel pour un expert-comptable, relevé de compte, carnet de chèques ou carte bancaire pour une banque), ou identifiant le personnel, qui fait partie intégrante de la production pour un service (p. ex., uniforme ou tenue du personnel)[84].

L’ajout de people résonne particulièrement bien avec la notion d’usage rappelée plus haut. Quant au support physique (physical evidence), il résonne également très bien avec la notion de dispositif passerelle qui rend tangible, dans les lieux, la démarche de médiation numérique des savoirs. Si le modèle des 7 P semble plus proche des dispositifs de médiation, il faut reconnaître que son application n’est pas aisée puisque l’ajout de ces paramètres complexifie son usage au quotidien. Dans notre recherche de concepts opérationnels, nous pensons que la notion de dispositif, associée à celle de médiation et d’identité numérique, permet de mieux rendre compte de l’élaboration d’une démarche stratégie de médiation.

Le terme marketing est très souvent mal vu, en particulier en France où la séparation entre secteurs marchand et non marchand est encore très présente. Même articulée aux enjeux des politiques publiques, la notion a du mal à être rendue opérationnelle. Un indicateur simple est de constater le faible nombre de bibliothèques publiques françaises qui ont un service marketing au sein de leur organigramme, alors que les départements de services au public ou de médiation se développent. L’approche par la médiation permet de redonner du sens à l’action en s’appuyant, quand c’est possible, sur la formalisation des objectifs et enjeux opérée lors des projets de politique documentaire. De même, la notion de médiation permet de développer un discours rassurant devant le déluge d’informations et d’outils constaté par les professionnels. La granularité très fine de l’approche par les dispositifs permet de mettre en place une stratégie de changement des mentalités en sortant du « solutionnisme » technologique pour reconnecter, à l’échelle des dispositifs, la technique aux raisons d’être des bibliothèques. C’est bien la combinaison des dispositifs orientés vers des fins définies en amont et leur articulation avec des identités qui donnent naissance à une démarche de médiation. En ce sens, les dispositifs passerelles peuvent être très efficaces pour encourager le changement en rendant lisible, dans le lieu, l’activité de médiation trop souvent perçue comme abstraite. Voilà pourquoi nous nous écartons de l’approche de Jean-Philippe Accart lorsqu’il propose, pour mieux cerner la notion de médiation, de distinguer une médiation présentielle et une médiation virtuelle. Cette typologie nous semble à la fois fausse et contre-productive parce qu’elle laisse entendre que ces deux médiations seraient de natures différentes. Au contraire, sur un plan pratique, il s’agit d’articuler des dispositifs entre eux pour développer une politique globale de médiation qui sera développée dans la deuxième partie de ce livre. Sur un plan philosophique, il y a bien longtemps que ce contresens sur le numérique a été mis en évidence, comme le rappelle le chercheur Antonio Casilli[85] dans un article de Sciences Humaines en 2011 :

La rupture entre espace physique et espace numérique devient caduque, impensable, tandis que notre quotidien s’affiche comme l’espace même où l’informatique a lieu. Les données qui circulent d’une borne wifi à l’autre pénètrent notre réalité en saturant l’espace concret des villes, des maisons, des corps mêmes des usagers.

Pour décrire ce phénomène, Bernard Stiegler emploie la formule de « milieu humain techno-géographique ». L’informatique actuelle est capable de numériser la réalité non pas en la dématérialisant, mais au contraire en l’augmentant : les objets ne se dématérialisent pas, mais ils produisent et transmettent des fichiers, des textes, des sons et des images digitales [sic]. Ce serait une erreur d’évaluation lourde de conséquences, politiques et pratiques, que d’imaginer notre technique comme séparée de la vie. Le philosophe met alors l’accent sur la nécessité d’harmoniser les milieux techniques et matériels, afin de créer de nouveaux couplages d’imaginaires et de pratiques sociales.

Les dispositifs passerelles sont au cœur de cette articulation entre le tangible et les données. Ils permettent de motiver les professionnels en incarnant cette politique de médiation dans des dispositifs qui valorisent les compétences des professionnels. Sur ce plan, ils participent à une démarche de management du changement.

Inversement, l’approche par le marketing public est trop souvent perçue comme une manière de vouloir faire adopter, par le secteur public, des techniques issues du monde marchand. Aussi, bien que proches des démarches de médiation numérique des savoirs, les outils du marketing comme le marketing mix ne sont pas directement opérationnels. D’ailleurs, la segmentation adoptée est souvent calquée sur les tranches d’âge et les besoins, là où nous avons constaté qu’une approche par thématique et par besoin documentaire est plus efficace. Si elle se traduit souvent par des besoins spécifiques et des services adaptés pour les jeunes générations ou les personnes âgées, la segmentation par âge héritée du marketing marchand nous semble créer un angle mort : celui des populations qui ne sont ni jeunes ni âgées et pour lesquelles les variables sociodémographiques ne suffisent pas à identifier les besoins documentaires. A contrario, l’orientation des dispositifs de médiation selon une granularité qui peut être très fine (par exemple pour un dispositif ponctuel « Les 5 incontournables pour découvrir le mouvement punk ») nous semble pouvoir correspondre à un sujet pédagogique précis articulé aux segmentations globales proposées par l’approche classique du marketing. Il est ainsi possible de développer des dispositifs de médiation orientés, par exemple, vers l’apprentissage des langues sans pour autant préjuger de l’âge de celui qui les utilisera.

Un autre point permet d’éclairer la distinction que nous opérons entre médiation numérique des savoirs et marketing non marchand. L’ampleur des mutations apportées par le numérique est l’occasion d’un repositionnement professionnel des bibliothécaires. Loin d’être un besoin abstrait, la dénomination même des tâches et du métier de bibliothécaire a un impact sur la manière dont les fins de diffusion des savoirs et des savoir-faire sont poursuivies. À cet égard, le positionnement vers des projets stratégiques de médiation numérique des savoirs, voire la dénomination même des bibliothécaires comme « médiateurs numériques des savoirs » ne sont pas inutiles. Cette dénomination permet de donner l’image d’un métier nouveau et qui favorise le décentrement des collections pour les partenaires internes à l’organisation. Par exemple, les liens avec les services de communication ou les directions informatiques sont facilités par l’affirmation dans le discours professionnel d’une fonction propre de médiation des savoirs qui passe par le numérique, comme nous le verrons dans la deuxième partie. Le bibliothécaire n’est plus celui qui prête des livres, mais celui dont la fonction de médiation est centrale. En ce sens, la notion de médiation numérique des savoirs est une notion opérationnelle capable d’incarner pour les bibliothécaires eux-mêmes et leurs partenaires le repositionnement d’une profession.

Enfin, la notion de médiation numérique des savoirs ajoute explicitement à celle de marketing public une notion de positionnement dans l’espace public. Sous-entendue dans le P de « place » ou de « promotion » est la notion d’identité numérique à laquelle nous avons voulu donner une importance majeure. Dans notre approche, ce n’est pas qu’un paramètre, mais une composante essentielle de la stratégie de médiation numérique des savoirs. Nous invitons donc les bibliothécaires à répondre à la question : qui parle? et ceci, dans une granularité fine (dispositif ponctuel), accompagnée, de manière plus large, d’identités thématiques stables et pérennes. Ces distinctions nous semblent essentielles pour élaborer une stratégie de médiation numérique elle-même répondant aux objectifs de politiques publiques. Le tableau ci-dessous résume les différences d’approche entre les deux notions.

Tableau 2. Médiation numérique des savoirs et marketing des organisations non
marchandes : différences et complémentarités[86]

Médiation numérique des savoirs Marketing des organisations non marchandes
Granularité fine à l’échelle du dispositif (outil, besoin usages) Approche globale de conception des services centrée sur les 4 P
Attention portée au design des dispositifs et à des thématiques Attention portée à la segmentation des publics
La notion permet un positionnement interne vis-à-vis des autres services Résistances à la notion, souvent confondue avec le marketing marchand
Attention portée aux services et aux interfaces Attention portée à l’offre documentaire
Articulation à la notion d’identité numérique Pas de notion de positionnement explicite
Notion opérationnelle distincte de la communication Notion abstraite trop proche de la communication

Ainsi, la médiation numérique des savoirs tout comme le marketing public sont au service de la stratégie générale de la bibliothèque et n’ont de sens qu’au regard des objectifs politiques et stratégiques du service public. La médiation numérique des savoirs est donc une démarche à dimension stratégique qui doit s’articuler à des objectifs de politiques publiques, eux-mêmes articulés à des missions et à un projet politique. Ce concept opérationnel vise à attirer l’attention des décideurs et des équipes sur l’importance de percevoir le métier de bibliothécaire non seulement dans la conception de collections, mais avant tout dans la conception de services de médiation des savoirs. Avant de développer les aspects opérationnels de cette approche, nous tenons à nous écarter d’une notion pourtant régulièrement portée comme un idéal à atteindre, celle de l’autonomie de l’usager.

Dans l’approche de la médiation numérique des savoirs, l’individu n’est pas indépendant, mais se construit en relation dans une dynamique constante d’apprentissages. Assigner à la médiation numérique la finalité de l’autonomie du sujet par l’acquisition d’habiletés revient à la réduire à l’apprentissage d’une culture technique, là où il s’agit d’une activité relationnelle et cognitive bien plus large. Ainsi, la médiation numérique des savoirs peut-elle s’envisager comme une démarche relationnelle.

Il nous faut donc dépasser la transmission d’informations pour aller vers une construction de liens entre besoin et usages d’information pour faciliter la transformation de l’information en connaissances. Pour ce faire, chaque dispositif mis en œuvre est entendu comme autant de projets s’inscrivant dans une démarche globale de médiation numérique et une dynamique managériale. Pour autant, nous tenons à nous inscrire dans de nouveaux enjeux de politiques publiques qui sont spécifiquement issus de la révolution numérique. Un des rapports importants du Conseil National du Numérique (CNNUM) en France définit ainsi la notion d’inclusion numérique[87] :

Nous définissons l’einclusion comme « l’inclusion sociale dans une société et une économie où le numérique joue un rôle essentiel ».

La précision suivante est essentielle :

L’inclusion numérique ne se résume plus à l’utilisation des outils du numérique, avec lesquels une part importante de la population se débrouille à défaut de parfaitement les maîtriser : elle désigne la capacité à fonctionner comme un citoyen actif et autonome dans la société telle qu’elle est. Il n’y a pas une « e‐inclusion » d’un côté et une « inclusion » de l’autre : les deux se confondent.

Il est donc essentiel d’abandonner le paradigme de la « fracture numérique » qui guide encore trop souvent les politiques publiques. La question de l’autonomie des usagers est abordée dans ce rapport qui confirme que l’autonomie n’est pas la bonne approche :

La médiation, associée à la question de l’einclusion, est jusqu’à présent pensée par un certain nombre d’élus et de décideurs dans un sens unique : la médiation doit accompagner les utilisateurs pour les aider à s’emparer du numérique, à en apprivoiser les usages, ce que l’on appelle « l’accompagnement au numérique ». Cette approche considère implicitement qu’il s’agit d’une fonction sociale transitoire et que, au fur et à mesure que se feront la montée en compétence, la simplification des terminaux, l’amélioration de l’ergonomie des services en ligne, le gain en autonomie des personnes, etc., cet accompagnement sera amené à jouer un rôle résiduel. Bref, la médiation aurait vocation, si ce n’est à disparaître, tout du moins à ne concerner qu’une frange limitée de la population. Or, avec de nombreux acteurs et réseaux de la médiation, nous tirons de l’expérience une conclusion exactement inverse. Nous soutenons que la quasitotalité des services, que ceuxci soient fournis par des acteurs publics ou par le secteur privé, va dans l’avenir avoir de plus en plus besoin de médiations humaines avec les usagers.

La question qui nous est posée n’est donc pas comment rendre autonome, mais comment développer des dispositifs de médiation orientés vers le développement de ce qu’on peut nommer en première approche des compétences numériques, ou encore la littératie numérique.

La variété de ces expressions dénote l’instabilité du domaine, bien explorée dans la thèse d’Olivier Le Deuff[88], qui choisit finalement de retenir le vocable de culture de l’information, en donnant un faisceau d’indications que l’on peut résumer par la volonté d’une approche pédagogique citoyenne et pas uniquement technique de la formation nécessaire, par une conception de l’information qui n’est pas qu’un flux et par une approche inspirée de Bernard Stiegler qui vise à favoriser une forme d’individuation et l’acquisition d’une culture technique au sens du philosophe de la technique Albert Simondon.

Nous partageons cette approche qui a une vertu : elle empêche de considérer que ce à quoi il faut former c’est uniquement le code informatique. Nous pensons avoir au moins autant besoin d’une société d’artisans du code que de citoyens formés aux usages éclairés de l’information. L’enjeu qui concerne le plus grand nombre de nos concitoyens est assurément le second. Nous partageons par exemple les réticences de Valérie Peugeot[89] à faire des solutions de cryptographie une voie exclusive de la résolution des problématiques liées aux données personnelles. La fuite en avant vers des techniques qui régleront les problèmes posés par d’autres techniques défaillantes est à la fois dépolitisante et dangereuse.

Pour autant, le maquis des expressions se rapportant à la formation à l’information est contre-productif. Il enferme le débat dans des subtilités d’approches et masque que l’enjeu est dans la dissémination à grande échelle de dispositifs pédagogiques pluriels, ouverts et facilement accessibles. Pour avancer, on pourrait retenir l’approche (pas forcément l’expression) de translittératie cybériste. Divina Frau-Meigs[90] propose cette définition :

Ce nouveau modèle de translittératie cybériste pourrait donc se fonder sur une perspective multidisciplinaire avec une triple focalisation sur l’information comme code, document et actualité. Elle vise à donner une emprise critique sur les médias, avec une approche citoyenne et une approche économique d’intervention productive sur ces médias. Les pratiques se veulent basées sur des compétences spécifiques pour aiguiser le sens critique, la logique algorithmique et la participation engagée. Les acteurs les plus pertinents restent encore à former, sans doute sur la base d’un réseau d’acteurs travaillant de manière collaborative (enseignants, documentalistes, usagers associatifs, voire jeunes apprenants eux-mêmes).

Il nous semble que nous devons retenir le triptyque de l’information comme code, document et actualité, car il ouvre de nombreuses voies et peut permettre de mettre au second plan les débats d’experts en déclinant une offre de formation équilibrée. Ces trois dimensions devraient utilement être croisées par les organismes de formation (ou d’autoformation) que sont les bibliothèques ou les autres lieux citoyens de formation. Avec l’émergence des MOOC et leur généralisation, l’enjeu n’est pas seulement de consacrer des ressources à concevoir des dispositifs pédagogiques en information literacy que d’aider des publics à se repérer dans la galaxie des offres et d’offrir des infrastructures pour que les MOOC puissent être suivis dans des tiers-lieux accessibles.

Comment les bibliothèques abordent-elles aujourd’hui les formations aux numériques? Les bibliothèques universitaires se concentrent très souvent sur les compétences directement utiles à leurs objectifs : faire réussir les étudiants. Il en résulte une approche de la culture de l’information qui est très centrée sur la library literacy (comment bien utiliser les ressources des bibliothèques) ou la scientific literacy (comment être un bon scientifique) ou au mieux une information literacy qui est loin de répondre aux enjeux d’une ère cybériste. Un rapide examen des référentiels de compétences dont le but est d’aider à concevoir des dispositifs pédagogiques suffit à s’en convaincre. Par exemple, la commission Pédagogie universitaire et documentation de l’ADBU (Associations des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation) en France a finalisé la rédaction d’un référentiel des compétences informationnelles[91] qui constitue une adaptation au contexte français de l’Australian and New Zealand information literacy framework (2e éd., 2004).

Ces référentiels sont issus de l’enseignement supérieur : ils visent à la réussite des élèves dans le cadre universitaire. Objectif logique, mais trop restreint : l’université ne doit-elle pas aussi former des citoyens? Un examen de ces textes en montre les limites et l’inadaptation aux enjeux d’une (trans) littératie numérique citoyenne à laquelle appelle le CNNUM. En creux, ils permettent d’en percevoir quelques aspects. Par exemple, ils ne comportent rien ou peu sur la notion d’identité numérique ou encore sur la sécurisation des données et manquent bien souvent les enjeux de la culture « ouverte » (données ouvertes et sciences ouvertes). Pire, aucun de ces référentiels n’évoque de compétences liées à la fouille de données (data mining), alors qu’il s’agit d’un des enjeux essentiels pour toutes les disciplines.

Dans aucun des référentiels de nature universitaire le lien science-société n’est explicité. Nous pensons pourtant que ce lien est essentiel et qu’il nécessite la maîtrise d’outils nécessaires à la production de contenus pédagogiques. On ne trouvera par exemple rien sur la maîtrise de la communication audiovisuelle, alors même que la pratique des webinaires se développe, tout comme les MOOC. Tout se passe comme si aucun des référentiels n’envisageait que les étudiants seraient aussi, pour une bonne part, amenés à enseigner et à communiquer avec d’autres citoyens.

Chacun voit donc littératie à sa porte, mais les bibliothèques universitaires ne sont pas les seules à tenter des référentiels. La fondation Mozilla a par exemple proposé une carte de la littératie Web[92] assez détaillée. Ce référentiel est très complet, mais pas du tout classé par niveaux, ce qui ne facilite pas la conception de dispositifs pédagogiques. C’est un des plus précis sur les compétences Web, au point d’oublier d’autres types de compétences qui ne passent pas par le navigateur. Étrangement, on ne trouvera rien non plus sur la veille, mais en revanche il intègre un aspect inexistant dans les autres référentiels : la protection de la vie privée et la sécurité de la navigation. D’autres approches de la formation au numérique ne jurent que par l’enseignement du code informatique[93], en considérant qu’il doit nécessairement dominer toutes les autres compétences. Une des approches les plus convaincantes est celle proposée sur le site Habilomédias[94], principal organisme canadien en éducation aux médias et littératie numérique :

La littératie numérique ne se limite pas au savoir technologique : elle comprend également une panoplie de pratiques éthiques et sociales réfléchies qui s’installent au quotidien, dans nos milieux de travail et d’apprentissage, dans nos loisirs et dans nos activités de tous les jours.

On utilise de plus en plus l’expression compétences multiples pour désigner les diverses aptitudes et habiletés requises pour utiliser, comprendre et créer un média numérique. Ceci étant dit, il serait préférable de voir la littératie numérique non pas comme un simple amalgame de compétences, mais comme un cadre qui s’alimente à plusieurs littératies et compétences tout en les enrichissant à leur tour.

La littératie numérique chapeaute une multitude de compétences transversales traditionnellement associées aux littératies suivantes : médiatique, technologique, informative, visuelle, de la communication et sociale.

Nous avons la conviction que les bibliothèques et les lieux d’innovation sociale ont un rôle à jouer qui ne peut se résumer à une library literacy ou une scientific literacy. De nombreuses bibliothèques publiques ou espaces publics numériques (EPN) proposent déjà des formations au numérique, très souvent sur le mode de l’initiation (se servir d’un ordinateur, découvrir Internet, etc.) et parfois de la formation à des usages en fonction de la demande (tablette, photographie, etc.). Ces outils de politiques publiques ont bénéficié de financements au titre de la fracture numérique, mais les financements se sont épuisés. La plupart des EPN se sont alors constitués en association selon la Loi 1901 (France). Alors que partout il est question de mutualisation et d’efficience des services publics, il est bon de noter que nombre d’entre eux ont été liés (voire intégrés) à des bibliothèques. Leur réorientation et leurs activités telles qu’elles sont ici proposées dans le rapport du CNNUM ne doivent donc laisser aucun bibliothécaire indifférent :

Nous considérons qu’aujourd’hui, le réseau des EPN a montré sa capacité à inventer des formes de médiation à l’ère numérique, au‐delà de la formation. Il constitue l’un des actifs sur lesquels une stratégie de développement des médiations doit s’appuyer. Mais il doit faire évoluer ses fonctions. Nous proposons ainsi : De renommer symboliquement les EPN en « espaces de médiation et d’innovation sociale » (EMIS), ce qui permettrait à la fois d’affirmer la réorientation stratégique de ces lieux et d’ouvrir l’accès au label à d’autres lieux qui ne s’identifiaient pas jusqu’ici au label EPN tout en portant des fonctions proches.

Une telle réorientation suggère que le rôle de contribution à la littératie numérique entendue comme médiation du numérique doit s’étendre à d’autres champs et répondre à d’autres enjeux liés à l’innovation sociale. Mais comment comprendre cette proposition et qu’implique-t-elle pour appréhender les missions des bibliothèques?

Qu’est-ce que l’innovation sociale? Le rapport du CNNUM propose cette définition :

[…] le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire (CSESS) définit l’innovation sociale comme « des réponses nouvelles à des besoins sociaux nouveaux ou mal satisfaits dans les conditions actuelles du marché et des politiques sociales, en impliquant la participation et la coopération des acteurs concernés, notamment des utilisateurs et usagers. Ces innovations concernent aussi bien le produit ou le service, que le mode d’organisation, de distribution, dans des domaines comme le vieillissement, la petite enfance, le logement, la santé, la lutte contre la pauvreté, l’exclusion, les discriminations, etc. Elles passent par un processus en plusieurs démarches : émergence, expérimentation, diffusion, évaluation.

Ce qui est innovant, c’est donc bien la réponse (ou le dispositif de médiation) et pas les fins. De ce point de vue, la médiation numérique des savoirs est une démarche visant à concevoir des dispositifs innovants à des fins de diffusion des savoirs et des savoir-faire, elle s’inscrit donc pleinement dans le champ de l’innovation sociale.

Du point de vue de la méthode, l’enjeu n’est plus seulement celui de la « participation des usagers », trop souvent comprise au minimum comme une injonction à développer les études de publics, mais bien du développement de démarches de codesign de politiques publiques avec les usagers pour améliorer l’utilité sociale des bibliothèques. Ces démarches visent à produire de l’innovation sociale en portant une attention toute particulière à la convivialité de l’ensemble de la bibliothèque. À cet égard, il nous semble important de ne pas fétichiser la méthode. Comme le fait très bien remarquer Cécile Arènes[95], le principal mérite de la démarche de design thinking (DT) est de mettre en avant les notions d’expérimentation et d’insister sur la gestion de projet en mode agile.

Si vous vous êtes déjà intéressé aux méthodes agiles et à l’innovation, le DT ne vous surprendra pas beaucoup. La phase d’itération, par exemple, n’est pas sans ressemblance avec Scrum. Si je schématise, le DT repose sur l’idée qu’on est plus créatif en dialoguant avec ses usagers qu’assis dans une salle de réunion. Il est expérimental : c’est « un processus non linéaire qui demande de la flexibilité ». Le DT n’est pas seulement une méthode, c’est aussi un état d’esprit, qui demande à chaque participant du projet de laisser libre cours à sa créativité. Voilà qui n’est pas chose aisée. En matière de communication, là encore, révolution copernicienne par rapport à la gestion de projet classique, avec le DT on invite les parties prenantes à s’intéresser au processus de projet lui-même et on n’attend pas d’avoir un produit fini parfait pour le présenter.

Le design thinking, tel que présenté dans le guide traduit en français[96] insiste sur le prototypage créatif, itératif et participatif. La méthode vient de la société américaine IDEO qui propose la conduite de projets d’innovation à partir d’un ancrage dans le domaine de la gestion, des affaires et de la technologie. Le design thinking ou encore le format d’événement Biblioremix[97] inspiré des hackathons sont donc les parties émergées de l’iceberg de l’innovation publique. Le mouvement dépasse de loin les politiques de lecture publique et même les politiques culturelles. Les discours pouvant être assimilés à une injonction à la participation supposent quelques clarifications apportées par Raphaëlle Bats[98] :

Une question revient souvent : le projet a-t-il été véritablement participatif, les usagers ont-ils vraiment « pris part à »? Si la question est complexe et doit toujours être évaluée au regard du contexte local, il n’en est pas moins vrai que la participation peut avoir des niveaux d’intensité différents.

Éléments de définition

Une définition généralement admise considère que la participation peut prendre trois formes, qui sont autant de niveaux successifs : information, délibération, décision. On parle de niveaux, car l’implication dans un projet n’est pas la même selon que l’on en est informé, que l’on est consulté à travers des délibérations ou que l’on prend part activement à des décisions sur l’évolution de ce projet. Cependant, ces niveaux sont successifs, car il faut d’abord être informé pour pouvoir délibérer, et délibérer pour pouvoir décider. Les formes que prennent ensuite ces différents niveaux peuvent être variées, ainsi que nous le verrons par la suite, mais notons dès à présent que l’information ne contraint pas à grand-chose, que la délibération est souvent plutôt une consultation sur un programme préétabli que l’énonciation d’une pensée construite, et que la décision est rarement totalement partagée.

En réaction à ces limites et dans le contexte des émeutes raciales de 1969, aux États-Unis, Sherry Arnstein, travailleuse sociale, a cherché à requalifier les niveaux d’intensité de la participation, en tenant compte de la possibilité pour les habitants comme de la volonté des différents acteurs en présence de participer. Elle élabore ainsi trois niveaux : le premier en négatif qu’elle nomme « manipulation », soit un moment de non-participation dans lequel on laisse croire au public qu’il peut prendre part à des projets en réalité déjà ficelés.

Un deuxième niveau qu’elle nomme « information », subdivisé en trois stades successifs d’information, de consultation puis de conciliation, soit un moment où les citoyens sont amenés à faire entendre leur opinion sur le projet.

Enfin, un troisième niveau nommé « pouvoir citoyen », subdivisé en partenariat, délégation de pouvoir, et enfin contrôle citoyen, soit un moment qui tend à ce que le citoyen soit entièrement responsable du projet. Les travaux de Sherry Arnstein sont d’une grande importance pour comprendre ce qui se joue en termes de pouvoir dans la participation.

L’enjeu de la participation peut donc se déployer selon le degré de la conception participative de dispositifs de médiation à la coconception d’une politique, voire, et c’est très rare aujourd’hui, à la gestion « en communs » de ce service public. Quelle que soit la méthode participative retenue, l’important nous semble être dans l’intention et la nature du recrutement des participants opérée par l’équipe projet relativement à la gouvernance des services à concevoir ou à améliorer. C’est dans ce mouvement que la notion de tiers-lieux nous semble devoir être manipulée avec précaution tant elle peut être étroitement comprise comme une volonté d’aménagement intérieur favorisant le séjour dans les lieux.

Le tiers-lieu, ou le troisième lieu ou encore la troisième place, est un terme traduit de l’anglais The Third Place qui fait référence aux environnements sociaux qui viennent après la maison et le travail. C’est une thèse développée par Ray Oldenburg, professeur émérite de sociologie urbaine à la Pensacola University en Floride, dans son livre publié en 1989 The Great, Good Place[99]. Son application aux bibliothèques, initiée par Mathilde Servet[100], est souvent très mal comprise et substitue une architecture intérieure agréable aux efforts d’examen des usages des publics et de participation. À notre sens, un tiers-lieu doit avant tout se définir comme un espace de connexions entre des communautés d’intérêts et de pratiques identifiées sur un territoire géographique et numérique. Nous retenons l’approche d’Antoine Burret qui propose dans sa thèse[101] consacrée aux tiers-lieux la définition suivante :

Une configuration sociale où la rencontre entre des entités individuées engage intentionnellement à la conception de représentations communes.

Avec cette approche, on mesure que les bibliothèques sont plutôt du côté des facilitateurs du développement de communs de la connaissance qui lui préexistent, qu’elles suscitent ou qu’elles développent. L’apport principal de la notion de tiers-lieu nous semble être de permettre de penser la bibliothèque comme un espace appropriable de contenus et de développement de savoirs et de savoir-faire. Elle permet aussi de considérer que le lieu-bibliothèque est une infrastructure nécessaire aux développements de communautés qui ne sauraient s’envisager seulement en ligne. Il est en effet essentiel de considérer qu’il n’y a pas de frontières étanches entre des communautés locales et des communautés en ligne, la rencontre dans un lieu étant de nature à renforcer les liens constitués par l’association de plusieurs personnes pour un intérêt commun. Il ne saurait y avoir de communautés sans lieux pour qu’elles se réunissent et c’est en ce sens que l’opposition entre les lieux et le caractère déterritorialisé d’Internet nous semble être un contresens. Une des difficultés et un des défis des démarches de médiation sont néanmoins de trouver les bonnes articulations entre différentes échelles et approches globale et locale. Comment positionner une institution territoriale sur des lieux numériques étrangers à ses financeurs locaux? Ces points seront abordés dans la deuxième partie de ce livre.

La modularité des aménagements intérieurs que suppose cette approche ouverte de la bibliothèque tiers-lieu nous semble devoir se retrouver dans les infrastructures et les contenus qu’elle propose. Ainsi, une bibliothèque autodéclarée tiers-lieux qui bride un accès wifi et ne propose pas des horaires d’ouverture adaptés ou encore qui interdit explicitement la copie privée des contenus au mépris d’une des rares exceptions au droit d’auteur consentie en France nous semble bien loin de se positionner comme acteur de l’innovation sociale. Nous renvoyons à cet égard au remarquable travail effectué, en France, par l’Association des bibliothécaires de France et à la Charte du droit fondamental des citoyens à accéder à l’information et aux savoirs par les bibliothèques[102]. Celle-ci a pour principal objectif d’affirmer le rôle essentiel et stratégique des bibliothèques dans les dispositifs des politiques publiques favorisant l’exercice des droits fondamentaux du citoyen à s’informer, apprendre, partager et inventer ses usages. Il s’agit aussi d’encourager et de valoriser auprès des publics, des professionnels et des tutelles ces lieux publics d’accès à la culture, à la formation, et leurs actions en faveur du partage des savoirs et savoir-faire.

Pour autant, il nous semble que les professionnels doivent se méfier des injonctions à l’innovation ou l’expérimentation permanente. Celles-ci n’ont de sens d’intérêt que si elles sont orientées vers des objectifs de politiques publiques explicites. C’est même un des défauts majeurs du discours sur l’innovation permanente[103] relevé par Hubert Guillaud :

[…] l’innovation nous enjoint à ne pas demeurer dans les chaînes opératoires établies. Ce sont les savoir-faire qui sont visés par l’injonction à l’innovation. Il ne s’agit pas de toucher aux résultats… C’est la façon de performer elle-même, abstraction faite de la performance et de sa nature, qui n’est ni décrite ni questionnée.

La vraie question devient alors : comment reformuler les missions des bibliothèques, comment orienter l’innovation sociale dont elles peuvent être des acteurs? Telles qu’elles sont exprimées, et portées auprès des élus et des décideurs, les missions des bibliothèques nous semblent mettre de côté la notion de culture de l’information telle que nous l’avons développée dans les chapitres précédents.

La Déclaration de Lyon proposée lors du Congrès de l’IFLA 2014[104] illustre en creux le changement de paradigme qu’il nous semble falloir opérer. La Déclaration vise à poser en principe que l’accès à l’information et les compétences nécessaires à son usage sont essentiels au développement durable, et à inscrire ce principe dans le programme de développement post-2015 des Nations-Unies qui prendra le relais des objectifs du Millénaire pour la prochaine décennie. Nous partageons le constat de la bibliothécaire Marie Martel[105] :

Le texte et son contenu demeurent fondamentalement structurés autour du concept d’information, un terme qui revient près de vingt-cinq fois! (contre cinq occurrences pour la « culture » et deux pour la « connaissance ») dans la Déclaration, posant que le développement passe par un développement technologique via les flux et Internet. La Déclaration reprend le vocabulaire qui règne depuis les années [19]70 dans les milieux documentaires sans intégrer de façon cohérente le discours sur le développement et les droits humains, même si elle y fait pourtant allusion.

En se focalisant sur l’accès à l’information, la Déclaration de Lyon n’opère pas le renversement nécessaire apporté par l’approche par la notion de capabilités, soit les possibilités, les « chances », qu’a l’individu de « réaliser ses objectifs » ou encore de choisir entre des modes de vie possibles selon le juriste Amartya Sen[106]. Sous son apparence de truisme, cette approche constitue une nouvelle avancée par rapport aux analyses traditionnelles qui portent leur attention sur les moyens et les instruments susceptibles d’aider à la réalisation du bien-être. L’approche en matière de capabilités met l’accent sur les possibilités qu’ont les êtres humains de décider et de choisir effectivement.

Ainsi, garantir un accès à l’information ne saurait suffire à orienter l’action des bibliothèques sur le développement des capabilités des individus. Il nous semble que l’approche par les droits culturels qui sont définis par la Déclaration de Fribourg[107] permet d’exprimer les fins d’une bibliothèque sous un jour nouveau. Par conséquent, l’accomplissement d’un droit de l’homme ne se réduit pas à la satisfaction d’un besoin fondamental, il est un empowerment, un « renforcement des capacités liées » ou une « capacitation »; cela signifie tout à la fois une augmentation des forces internes au sujet et une reconnaissance, une habilitation par autrui. Nous retenons l’approche de Patrice Meyer-Bisch[108] :

L’objet d’un droit culturel peut être défini comme un lien librement approprié entre l’identité, des références et des œuvres; c’est l’acte de développer son identité en se référant à des œuvres. La condition objective du respect des droits et libertés culturels est donc la considération des références qui sont autant de ressources pour le sujet. Une référence est alors comprise comme un savoir qui permet de se relier à des valeurs portées par des personnes et des œuvres (d’autres savoirs, des choses, des institutions). C’est une appropriation qui s’opère en puisant dans les ressources du vivier de la diversité, et selon les deux sens du terme :

  • une appropriation à la complexité d’un milieu, c’est-à-dire la constatation d’une adaptabilité aux spécificités et à la richesse — mais aussi au désordre — de chaque milieu culturel;
  • une appropriation par le sujet, c’est-à-dire l’acte du sujet qui reconnaît comme siens les objectifs ou valeurs et les moyens en jeu pour les réaliser, et qui prend sa part de responsabilité.

On retrouve ici la notion d’appropriation mise en relief par l’approche des communs. La notion de « capabilités » peut sembler proche de la notion d’émancipation portée par l’idéal républicain dans lequel s’inscrivent les bibliothèques. Mais là où l’émancipation exprime la libération des entraves et l’idéal d’un individu autonome, la capacitation suppose au contraire l’épanouissement par une socialisation réussie dans la reconnaissance des diversités de milieux sociaux et culturels. En tant que telle, cette approche saisit beaucoup mieux le lien entre l’individuel et le collectif que ne peut le faire l’émancipation par l’accès. Ainsi, l’utilité sociale des bibliothèques pourrait se formuler comme la facilitation du développement des droits culturels par la contribution aux développements des capabilités et des communs de la connaissance. La médiation numérique des savoirs est l’instrument permettant aux bibliothèques d’orienter leurs projets vers ces fins.

?

Un dispositif n’existe qu’au travers de trois dimensions étroitement imbriquées : un faisceau de besoins d’informations perçus, des usages constatés et des moyens techniques[109].

Figure 6. Les trois composantes d’un dispositif de médiation numérique des savoirs

Un besoin d’information est le sentiment par l’individu d’une lacune dans ses connaissances qui le porterait à s’engager dans une activité de recherche d’informations. Ce besoin d’information nous semble révéler un élément moteur fondamental : une curiosité initiale pouvant d’autant mieux être satisfaite que celui qui l’exerce est conscient de la qualité de sa propre attention.

En ce qui concerne les usages, nous retenons l’approche étymologique : « usage » est dérivé du latin usus ou us et désigne une pratique habituellement observée dans un groupe ou une société donnée. Ainsi, Julien Mahoudeau[110] définit l’usage comme ce que font réellement les utilisateurs des outils de médiation qu’ils manipulent.

Enfin, nous retenons l’approche de la technique proposée par le philosophe Gilbert Simondon qui s’efforce de l’intégrer dans la culture[111], considérant que la compréhension de l’outil, de sa place dans la longue histoire des techniques, de son fonctionnement, de ses fonctionnalités permet d’en utiliser les potentialités. Par conséquent, la méconnaissance de cet objet technique entraîne son mésusage. Une approche qui s’oppose à une pensée magique du numérique qui considérerait l’outil comme générateur d’usages spontanés aussi bien du côté des publics que des professionnels.

La notion de dispositif est donc l’association et la configuration de ces trois composantes que sont besoins d’information, usages et techniques. Elle permet de rendre opérationnelle la démarche de médiation numérique. La meilleure manière de comprendre ce qu’est un dispositif est de mesurer ici la faiblesse d’une approche qui consisterait, sous prétexte de « s’adapter au numérique » à mettre en circulation des appareils nomades (tablettes, liseuses) sans accompagnement, ou à l’achat au titre de droit d’accès à des livres numériques cadenassés. Dans les deux cas, le dispositif de médiation donne une importance bien trop grande à l’outil ou à la ressource au détriment de son inscription active dans des usages orientés vers des besoins d’informations identifiés au préalable.

On mesurera aussi l’inutilité d’opérations de valorisation au moyen de supports imprimés promotionnels titrés « nos ressources numériques ». La démarche devrait plutôt être celle de situer les contenus de ces ressources dans des dispositifs de médiation orientés vers des besoins documentaires (p. ex., apprendre une langue ou comprendre le droit du travail) adaptés aux usages (lecture de l’information en flux à travers un cercle relationnel inscrit dans un média social) avec les bons outils (chronologie numérique, carte heuristique, page Facebook thématique, ajout de l’information au sein d’une communauté d’intérêts sur le Web, etc.). Dès lors, il s’agit d’équilibrer les trois composantes d’un dispositif pour le rendre le plus efficace possible.

Il convient de distinguer trois types de dispositifs non exclusifs les uns des autres et permettant de construire un projet de médiation numérique des savoirs.

Un dispositif de flux est un dispositif stable permettant le développement d’une identité numérique constituant une présence en ligne pérenne et attractive. Il vise à capter l’attention par le positionnement, la forme et le contenu proposé. Il permet notamment la diffusion de dispositifs ponctuels attractifs. Un dispositif de flux vise donc à créer des habitudes de lecture en s’insérant dans le flux des médias sociaux et en tissant un lien de confiance avec des communautés d’intérêts.

Ce type de dispositif de flux peut prendre des formes très diverses. Cela peut être le profil Twitter ou la page Facebook de la bibliothèque. Cependant, il s’agira ici de dépasser une stratégie de communication qui viserait uniquement à promouvoir l’établissement en disséminant une information factuelle sur le fonctionnement de la bibliothèque et événementiel. Nous l’avons déjà souligné, le Web social crée une nouvelle proximité au sein même des communautés par la conversation. La page Facebook[112] et le profil Twitter[113] de Gallica, la bibliothèque numérique patrimoniale de la BnF[114] s’inscrit pleinement dans cette démarche conversationnelle[115].

Si la mise en valeur des documents numérisés constitue le fil rouge des publications, un effort tout particulier est porté à répondre à toutes les questions des internautes concernant la bibliothèque numérique ou à interpeller d’autres institutions comme des musées ou des archives susceptibles d’être intéressées par certains documents publiés sur Gallica. Ces initiatives permettent de s’ouvrir à d’autres communautés d’usagers et de favoriser la promotion de ses contenus et de ses services auprès de nouveaux publics. Le pari est également de valoriser la communauté des utilisateurs de Gallica, les Gallicanautes, qui sont parfois des blogueurs actifs ou de simples amateurs qui partagent leurs trouvailles sur les réseaux sociaux. Ces dernières sont retweetées par le fil Twitter ou partagées sur la page Facebook de Gallica. Les billets les plus remarquables sont parfois repris sur le blogue de Gallica, voire dans la rubrique des Gallicanautes du portail Gallica[116]. Ce dispositif permet ainsi d’identifier et de recommander un certain nombre de Gallicanautes blogueurs « experts » avec qui s’est instaurée une relation privilégiée. Certains d’entre eux ont été invités à confectionner des albums photo sur le site Gallica à partir de documents trouvés dans la bibliothèque patrimoniale de la BnF dans leur domaine d’intérêt. La légitimité ne se fonde pas ici sur la posture institutionnelle de celui qui prescrit, mais bien sur les connaissances et les capacités relationnelles de celui qui recommande.

Les portails thématiques sont une autre piste. L’e-music box[117] est un portail thématique de la Bibliothèque francophone multimédia de Limoges. Son but est de faire connaître la diversité et la richesse de la scène musicale limousine et de s’inscrire au cœur de la communauté musicale locale, musiciens régionaux amateurs ou confirmés, et à tous les amateurs de musique.

Sur le site, les internautes peuvent ainsi lire les biographies des artistes, écouter leur musique en ligne ou en podcast, suivre leur actualité, vérifier la disponibilité de leurs œuvres au sein du catalogue de la Bfm et prendre facilement contact avec eux. Nous voyons ici qu’au-delà d’une sélection d’albums d’artistes locaux, ce sont les acteurs de cette scène locale qui sont valorisés. Depuis le lancement du site, des centaines de groupes, tous styles musicaux confondus, ont pu profiter de ce service libre et gratuit qui s’est imposé comme une référence locale, signe d’une confiance gagnée au sein de cette communauté. Et pour être au plus proches des conversations en ligne de ce public cible, l’e-music box est décliné sur Facebook[118] et sur Twitter[119].

L’intégration des bibliothèques dans l’écosystème du Web permet également d’envisager des possibilités inédites et innovantes d’interaction avec les usagers et d’enrichissement des métadonnées descriptives des collections en s’appuyant sur la participation des internautes et en sollicitant leur compétence et leur connaissance. Le terme le plus couramment utilisé pour désigner ce type de projets est celui de crowdsourcing. Des contenus ou des informations (sources) produits par la foule (crowd) des membres d’une communauté d’intérêts[120].

En 2008, la bibliothèque du Congrès américain amorça avec la plateforme de partage photographique Flickr le projet The Commons qui permet aux bibliothèques et organismes publics de partager avec les internautes leurs collections iconographiques. Le but était de sensibiliser aux collections patrimoniales un public qui ne visite jamais ou rarement une bibliothèque et son site Web, mais surtout d’offrir aux internautes la possibilité d’ajout de tags et de commentaires ainsi que la réutilisation des photographies. Aujourd’hui, plus de 200 établissements publics du monde entier participent au programme d’indexation collaborative The Commons[121]. La bibliothèque municipale de Toulouse fut la première bibliothèque française à y participer. Plus de 4 500 clichés issus du fonds de plaques photographiques d’Eugène Trutat furent ainsi mis sur Flickr[122] entre avril 2008 et décembre 2013. L’objectif était de solliciter l’expertise des amateurs pour améliorer l’identification des lieux photographiés par Trutat et inciter la valorisation de ce fonds au sein des communautés d’intérêts. Au final, ces photographies ont été visionnées plus de 3,4 millions de fois depuis le début de l’expérience et 77 % des clichés ont été « tagués » par des internautes[123].

Un dispositif ponctuel est un dispositif permettant la mise en forme d’informations de manière attractive et qui vise à capter l’attention des utilisateurs. Il peut s’insérer dans un dispositif de flux.

L’essentiel de ces dispositifs de médiation est de proposer des scénographies numériques particulièrement bien adaptées à une consultation en ligne. Une sélection de ressources autour de la thématique des voyages sera bien plus « attractive » sous la forme d’une carte en ligne géolocalisant ses ressources qu’un simple fichier PDF téléchargeable qui n’est que la version numérique d’un document imprimé. De même qu’une sélection sur les grands conflits du XXe siècle aura un tout autre intérêt si elle est diffusée sous la forme d’une frise chronologique en ligne. Il en est ainsi aussi pour une sélection musicale diffusée sous la forme d’une liste de lecture écoutable en ligne. Il existe de très nombreux outils en ligne, souvent gratuits, permettant d’élaborer assez facilement ce type de dispositif de médiation numérique : Google Map[124] ou OpenStreet map[125] pour les cartes en ligne, Time Toast[126] pour les frises chronologiques en ligne, Prezi[127] pour les dossiers documentaires dynamiques, Storify[128] pour des sélections éditorialisées de ressource Web, YouTube[129] ou Dailymotion[130] pour des listes de lecture musicales et vidéo. De nombreux dispositifs ponctuels sont à découvrir dans ce guide pratique de la médiation numérique[131]. Tous ces dispositifs sont facilement intégrables au portail ou au blogue de la bibliothèque grâce au code « embarquable » fourni par ces plateformes.

L’enjeu est de choisir l’outil en phase avec les usages et les besoins de sa cible et surtout de diffuser le dispositif au bon moment. Il sera opportun de diffuser la frise chronologique sur les grands conflits du XXe siècle au moment des révisions du baccalauréat en France, le thème étant au programme de l’examen. Il sera également plus pertinent de proposer une carte géolocalisant les guides touristiques au moment de la préparation des vacances. On comprend ici que ces dispositifs s’inscrivent dans des projets de médiation plus globaux.

Ces dispositifs sont donc dits ponctuels puisqu’ils ne sont proposés qu’au moment où le besoin est le plus fortement perçu. Mais étant également diffusés en permanence sur leur plateforme native, ils peuvent s’insérer dans le flux des médias sociaux et rencontrer des communautés d’intérêts sortant du giron des utilisateurs de la bibliothèque.

Un dispositif passerelle est un dispositif dont la caractéristique est de proposer une interface entre un milieu tangible et un milieu numérique.

En parallèle des dispositifs de médiation en ligne, il est nécessaire de développer des dispositifs pour valoriser ce travail de médiation au sein même des espaces physiques de la bibliothèque afin que l’ensemble des usagers fréquentant ces structures puissent les découvrir. Ce travail d’hybridation est nécessaire pour que les sphères numérique et tangible ne soient pas des espaces clos et hermétiques. Il s’agit de faire circuler les savoirs et les informations en les plaçant là où les utilisateurs ont des chances d’y accéder.

Ces dispositifs passerelles permettent de documenter des objets culturels. Les possibilités sont multiples : lier un document à des extraits musicaux, à une bande-annonce, à une discographie ou à une filmographie; lier un essai vers une conférence en ligne de l’auteur ou un blogue particulièrement intéressant sur le sujet; renvoyer vers la bibliographie publiée par la bibliothèque dans laquelle figure le livre que j’ai entre les mains; ou encore relier des livres, des journaux à leur version numérique. Des codes QR sont généralement accolés sur les documents concernés que l’usager scanne avec ses appareils mobiles pour accéder à la ressource numérique. Là encore, nous attirons l’attention sur le fait qu’éditer des codes QR ne peut en aucune manière constituer un objectif en soi. Dans les exemples cités plus haut, nous retrouvons l’équilibre souhaité d’un dispositif de médiation numérique : un outil passerelle (le code QR), des usages perçus (flasher un code QR en mobilité) et un besoin documentaire, soit avoir plus d’information sur le document que j’ai entre les mains. L’intérêt des codes QR[132] est dans la conception des dispositifs de médiation auxquels ils prennent part. Il s’agit de pointer vers des contenus correspondant aux attentes et aux besoins des usagers afin de les inciter à flasher le pictogramme. On aura pris soin de vérifier que la consultation de ces ressources en ligne est adaptée pour mobile ou pour tablette, sinon l’expérience sera désagréable pour l’utilisateur. Enfin, et parce qu’une partie non négligeable de la population n’utilise pas les codes QR, il est important de faire figurer une adresse URL courte juste en dessous du code QR afin de rendre le lien visible par l’œil humain et accessible sans application mobile ou même sans appareil nomade.

D’autres bibliothèques ont opté pour des dispositifs passerelles plus simples. Les médiathèques de Romans-sur-Isère[133] ou celle de Massy-Palaiseau en France ont développé un système d’étiquettes imprimées collées sur la première de couverture, quel que soit le type de support. Sur ces étiquettes nous retrouvons l’extrait de la critique d’un bibliothécaire ou d’un lecteur publiée sur le blogue ou le portail de la bibliothèque, voire celle publiée par un journaliste sur un média culturel dans le cas précis des médiathèques de Massy-Palaiseau[134]. Accompagnées du lien pour lire l’intégralité de la critique, ces étiquettes permettent à la fois de réagir en ligne et de découvrir d’autres critiques appartenant au même genre. Par ce dispositif, le bibliothécaire se fait la passerelle, l’infomédiaire entre les communautés de lecteurs qui fréquentent la bibliothèque et celles qui s’animent sur le Web et les médias sociaux. Sur certaines étiquettes, la mention « Si vous avez aimé vous aimerez peut-être » mime les recommandations algorithmiques des marchands en ligne tout en proposant des choix subjectifs proposés aussi bien des bibliothécaires que des amateurs. Ce type de dispositif appliqué sur le haut de la longue traîne telle qu’elle a été décrite dans la première partie permet de rendre tangible des incitations à des parcours d’amateurs et de jouer sur la sérendipité au moyen de proximités de contenus et de rebonds d’un titre à un autre. Appliqué à la partie haute de la longue traîne, aux nouveautés ou aux best-sellers, il permet d’augmenter de manière significative l’usage des contenus proposés par la bibliothèque. Une des premières collectivités à avoir systématisé ce dispositif est le Syndicat d’agglomération nouvelle (SAN) du Val d’Europe en France en 2008)[135]. Des étiquettes de ce type étaient collées sur la première et sur la quatrième de couverture des livres, de CD ou de DVD.

 

Figure 7. Étiquettes de critiques et recommandations : médiathèques
de Val d’Europe agglomération (2008)

Autres pistes de dispositif passerelle : la rematérialisation de ressource numérique en objet manipulable et visible dans les espaces physiques de la bibliothèque. Le projet Ziklibrenbib[136] est sur ce point exemplaire. Ce portail collaboratif créé en 2002 à l’initiative des médiathèques d’Argentan Intercom et de Pacé en France vise à promouvoir la musique en libre diffusion dans les médiathèques. Plus d’une trentaine de discothécaires prospectent sur différentes plateformes de musiques libres (Jamendo, Free Music Archive, Bandcamp, archive.org), ainsi que sur les sites des netlabels pour proposer des recommandations sous forme de chroniques, de compilations en écoute en ligne et téléchargeables, de listes de lecture sur YouTube, SoundCloud ou encore Bandcamp. Certaines bibliothèques ont suivi les encouragements du collectif à rematérialiser ces œuvres musicales repérées pour les mettre à disposition des publics. Ainsi, certaines médiathèques gravent ces sélections sur CD avec jaquettes imprimées dotées d’un code QR et conditions de licence précisées. Ces CD suivent le circuit du document habituel et sont mis en prêt pour les usagers généralement dans un bac spécifique avec un fascicule mis à disposition pour expliquer ce qu’est la musique en libre diffusion et pour présenter les œuvres sélectionnées. Sur le même principe, des bibliothèques prêtent également des clés USB souvent thématiques, dans lesquelles ont été téléchargés ces albums sélectionnés[137] ou compilations. D’autres ont préféré mettre à disposition ces sélections via l’interface de médiation de la borne d’écoute et de téléchargement Doobs[138] ou via une Bibliobox[139]. Ce dernier dispositif nomade génère un réseau auquel on se connecte en wifi sur un téléphone intelligent, une tablette ou un ordinateur portable afin de télécharger les ressources numériques.

Bien évidemment, tous ces dispositifs passerelles ne sont pas exclusivement réservés aux ressources numériques libres de diffusion. Des bibliothèques proposent dans leurs rayonnages des fantômes de livres numériques ou de films issus de leurs offres payantes de ressources numériques. À ce sujet, lire ce mémoire d’étude Enssib de Frédéric Souchon Faire vivre les ressources numériques dans la bibliothèque physique[140].

Tableau 3. Typologie des dispositifs de médiation numérique des savoirs

Type de dispositif Objectifs Exemple de dispositifs
Dispositif de flux – Créer des habitudes de lecture en s’insérant dans le flux des médias sociaux.

– Tisser un lien de confiance avec les communautés d’intérêts.

Portail, blogue, page Facebook, profil sur Twitter ou autre réseau social, chaîne YouTube…
Dispositif ponctuel – Proposer une mise en forme d’informations attractive et adaptée à une consultation en ligne.

– Capter l’attention des usagers.

Frise chronologique, géolocalisation de ressources, liste de lecture, PDF feuilletable, dossier multimédia dynamique, sélection de ressources Web éditorialisées…
Dispositif passerelle Rendre tangibles des ressources numériques dans les espaces physiques de la bibliothèque. Documenter des objets culturels : code QR, adresse URL raccourcie, étiquettes éditorialisées.

Rematérialiser des ressources numériques : livre/DVD fantôme, CD gravé, borne de téléchargement, Bibliobox…

Nous l’avons déjà souligné, un nouvel internaute usager s’affirme. Il n’est plus simplement consommateur d’information, il est aussi utilisateur de services Web, producteur d’informations et de métadonnées. Cet internaute produit, veille, organise, indexe et partage l’information au sein de communautés d’intérêts. La technique du bibliothécaire devient l’apanage de tout le monde. Patrick Bazin parle « d’une bibliothécarisation » du monde[141].

En outre, le bibliothécaire a en face de lui des usagers qui en savent plus que lui dans leur domaine d’intérêt. Le think tank britannique Demos a fait paraître en novembre 2004 un rapport intitulé The Pro-Am Revolution. How enthusiasts are changing our economy and society[142]. Ce rapport affirme que si l’amateurisme était jusqu’alors déprécié et opposé au professionnalisme, synonyme de sérieux et de qualité, la tendance est en train de s’inverser avec l’émergence d’un espace informatif numérique par laquelle les professionnels et les amateurs se côtoient et partagent le même espace informatif. Ces amateurs sont tellement investis dans leur passion qu’ils finissent par avoir les mêmes compétences que les professionnels, mais avec une capacité de création et d’innovation que ne peuvent avoir ces derniers, pris dans des contraintes routinières. Avec l’émergence du numérique, les outils de création et de communication se sont rendus accessibles également aux professionnels et aux amateurs qui côtoient et partagent le même espace informatif. Dans ce modèle, les connaissances des profanes sont considérées comme légitimes et le savoir est coproduit par le professionnel et le simple citoyen. L’expertise est partagée, voire collective. Le fossé entre les deux sources de productions de savoirs s’est donc fortement réduit. La frontière entre le consommateur et le producteur d’informations s’est brouillée. Wikipédia en est probablement le plus bel exemple.

La mutation numérique en bibliothèque n’est donc en rien technique, mais culturelle, intellectuelle. L’universalisme des collections et l’immensité des savoirs disponibles sur le Web font qu’une maîtrise suffisante des contenus pour être un médiateur efficace dans tous les domaines s’avère impossible. Le bibliothécaire ne peut être spécialiste de tous les domaines et ne peut surtout plus imposer son savoir dans un rapport d’autorité, mais doit s’inscrire dans un rapport plus égalitaire aux usagers. De ce fait, la médiation s’horizontalise et s’ouvre à la diversité des savoirs et des savoir-faire. L’image du bibliothécaire prescripteur est certes remise en question, mais comme nous le verrons, son statut de professionnel de l’information avec sa vision globale lui ne l’est pas. La bibliothèque ne peut ignorer ces nouveaux usages collectifs et doit permettre à tous les usagers qui le souhaitent de participer à l’animation, à la création ou encore à l’organisation d’un dispositif de médiation[143].

Cette médiation participative fait appel aux temps, aux savoirs et aux savoir-faire des citoyens et permet de dépasser les limites des ressources propres de la bibliothèque[144]. Cela suppose de reconnaître que toute culture est légitime et a donc sa place en bibliothèque, mais aussi de reconnaître le citoyen comme une richesse potentielle dont peut bénéficier la bibliothèque. Cela suppose des bibliothèques inclusives par leur politique de médiation. Il s’agit donc de poser la question de la médiation en fonction des besoins et des usages de la communauté cible et non plus par rapport à ce qu’une bibliothèque se doit d’offrir dans l’absolu. L’enjeu est alors de dépasser un modèle prédictif où il s’agirait d’anticiper les choix du public et d’opter pour un modèle de participatif qui définit avec eux le dispositif de médiation.

Mais faire avec les habitants renvoie à la connaissance du territoire et des communautés qui les animent. Cela interpelle sur la capacité du professionnel à connaître ses territoires et à identifier les richesses, à amener les usagers à participer et à faire le lien avec les communautés[145]. Alors qu’Internet propose plus de contenus qu’une bibliothèque physique ne pourra jamais contenir, la plus-value des bibliothèques se déplace vers leur médiation et leur capacité à animer des communautés et révéler leurs savoirs et savoir-faire en leur sein[146]. Les ressources que la bibliothèque abrite et acquiert ne sont pas que ses collections, mais la communauté des usagers. En ce sens, la coconstruction d’une médiation peut être un moyen de donner à la bibliothèque ce rôle central au cœur de la communauté et de donner un ancrage physique. R. David Lankes[147] affirme très justement : « Les mauvaises bibliothèques construisent des collections, les bonnes bibliothèques construisent des services, les grandes bibliothèques construisent des communautés[148]. »

Enfin, il est important de le souligner, une démarche de médiation participative ne va pas sans l’appréhension des bibliothécaires d’une perte de contrôle et la tentation de vouloir filtrer les interventions des usagers a priori. Par définition, la participation est une forme de pouvoir exercé par les usagers n’ayant pas accès aux positions de décision afin d’influencer le résultat final et concret d’un processus de définition de politiques. La participation sans redistribution d’une partie du pouvoir de décision relève d’un « rituel vide », d’une participation prétexte. Tout dispositif de médiation participatif fait le pari de l’intelligence des usagers participants, de leur expertise et de leur légitimité[149].

La bibliothèque de New York numérise une grande partie de ses collections et fait aussi souvent appel aux bonnes volontés des internautes pour des projets de correction et d’indexation collaborative. Ainsi, le projet What’s on the menu?[150] par exemple a recours aux internautes pour transcrire les plats de menus numérisés parmi sa collection de 45 000 menus de restaurants datant des années 1840 à nos jours. Mais en créant un département chargé d’expérimenter et d’innover avec ses collections, le NYPL Labs[151], la bibliothèque municipale de New York réfléchit en permanence sur la façon dont elle peut utiliser la puissance du Web social et les communautés qui l’animent pour imaginer de nouveaux dispositifs de médiation de leurs collections numérisées. Par exemple, un outil comme le Stereogranimator[152] propose aux usagers et aux internautes de transformer de vieux stéréographes issus des collections en images 3D partageables sur le Web. Le projet collaboratif Map warper[153], propose de superposer les cartes numérisées de la ville avec celles plus anciennes pour retracer l’évolution de la ville au fil des ans. La réussite de ces projets de crowdsourcing dépendra de l’intérêt des documents mis en ligne et de l’adhésion qu’elles pourront susciter au sein des communautés d’amateurs cibles, mais aussi de la qualité des contributions qui en découlent.

Le dispositif OldNYC[154] est peut-être encore plus emblématique de cette implication des communautés d’intérêts dans la valorisation d’un patrimoine photographie numérisé. OldNYC propose à partir d’une carte de Google Map de visiter les rues de New York à partir d’un fonds de photographies anciennes s’étalant des années 1870 aux années 1970. Cette plateforme propose un système de recommandations et de partages vers les réseaux sociaux favorisant ainsi la dissémination de ces ressources au sein de communautés d’amateurs. Enfin, OldNYC s’appuie sur le crowdsourcing pour améliorer les métadonnées et l’océrisation[155] des photos numérisées.

Ce projet remarquable n’est pas une initiative de la NY Public Library. Ce dispositif de médiation numérique a été développé par Dan Vanderkan, un ingénieur en informatique passionné d’histoire, et a pu être mis en place parce que la bibliothèque américaine a fait le choix de mettre en ligne ses documents patrimoniaux sous une licence libre incitant leur réutilisation. La NYPL a bien compris que cette politique volontariste de réutilisation de ces documents par les amateurs est un formidable moteur pour expérimenter de nouveaux dispositifs de médiation et d’ailleurs, elle ne manque pas de les valoriser sur son portail institutionnel.

Plus simplement, d’autres bibliothèques ont ouvert leurs blogues à la contribution de leurs usagers. Ainsi, Everitouthèque, le blogue de recommandation de lecture et d’écoute des médiathèques Valence Romans Agglomération[156], permet aux visiteurs qui le souhaitent de publier des critiques aux côtés de celles des bibliothécaires. Ces contributions sont ensuite déclinées sur des supports tangibles et numériques. La critique d’un lecteur figurera dans l’onglet « Avis » de la notice du document, sur une étiquette papier collée sur la première de couverture du document concerné. Selon le projet, elle complétera une bibliographie thématique au format papier et numérique ou un dossier documentaire en ligne réalisé́ sur Prezi[157]. Enfin, elle sera disséminée sur les profils sociaux des bibliothèques du réseau. Il s’agit de valoriser les apports des usagers à l’identique de ceux des professionnels et de développer le sentiment d’appartenance à une communauté.

Tous ces appels lancés à la contribution ou à l’intelligence collective des internautes doivent comporter un indispensable élément de réciprocité. Les contenus et les métadonnées résultants de ce travail d’enrichissement effectué bénévolement par les internautes deviennent de fait des contenus publics qui ne peuvent être entravés par une interdiction de réutilisation. II n’est pas concevable qu’une démarche collaborative conduise à une appropriation exclusive de ces informations par l’institution[158]. Il y aurait ici un extraordinaire paradoxe de vouloir à la fois profiter des savoirs amateurs disponibles et en même temps de refuser de reverser ces contributions aux savoirs communs. Il ne peut y avoir de coconstruction sans cette réciprocité. Ces contenus produits, enrichis par les internautes au sein des bibliothèques doivent donc être librement réutilisables en les plaçant notamment sous une licence de libre diffusion. Par exemple, les photographies versées par les usagers du portail Photographes Rhône-Alpes[159] sont placés sous une licence libre Creative Commons BY-NC-ND qui permet une diffusion des documents en l’état à condition qu’il soit indiqué la paternité et qu’il n’en soit pas fait d’usage commercial.

Quel que soit le dispositif de médiation adopté, les contenus produits doivent s’inscrire dans un positionnement stratégique afin d’atteindre les communautés ciblées. Cela commence par la définition d’une identité numérique.

L’identité numérique est définie au sens donné par le chercheur Olivier Ertzscheid[160] comme la synthèse des traces qu’un individu ou une organisation laisse de lui sur la Toile. Il définit plusieurs types de traces : des traces « profilaires » correspondant à ce que nous disons de soi, des traces « navigationnelles » qui renseignent sur les sites que nous fréquentons et sur lesquels nous commentons ou partageons et qui paraissent souvent sous forme de notifications, et enfin des traces inscriptibles et déclaratives, ce que nous publions sur nos blogues ou nos profils sociaux par exemple, qui reflètent directement nos idées. Cet ensemble de traces, une fois qu’il apparaît calculé et « remixé » par les moteurs de recherche ou les sites de réseaux sociaux, définit alors un périmètre qui est celui de notre réputation numérique.

Avec le Web social, l’identité numérique repose davantage sur les traces de ses activités en ligne que sur l’information que nous déclarons volontairement. Une identité numérique est donc étroitement liée à une présence Web qui est fondamentalement sociale. Tout médiateur doit ainsi encourager les usagers à participer activement à la production de son identité ou celle de son organisation.

Pour une bibliothèque, l’élaboration d’identités numériques vise à renforcer sa présence numérique en phase avec les codes et les usages du Web, au-delà du site institutionnel avec lequel il s’agit de s’articuler. L’enjeu est d’organiser une dissémination volontaire de contenus qui correspondent à une valeur ajoutée cohérente avec les missions de l’établissement, en un mot de rendre lisible et d’amplifier l’écho sur le Web des recommandations et des conseils des bibliothécaires. Cette large diffusion d’information à valeur ajoutée est une condition nécessaire pour susciter des interactions avec des communautés d’internautes usagers qui vont contribuer à renforcer cette identité.

En somme, il convient de définir des « portes d’entrée » cohérentes permettant de diffuser des flux d’information élaborés par la bibliothèque vers le Web. La notion d’identité numérique ne se résume donc pas à une collection d’outils ni à un acte ponctuel de communication, mais comme un positionnement Web pérenne, à élaborer de manière concertée, autour de cinq composantes :

• Un pseudonyme (court et facilement identifiable)

• Un avatar ou un logo (une image)

• Une ligne directrice précisant les contenus qui seront publiés

• Une politique d’interactivité et de modération

• Des outils (p. ex., blogues, Facebook, Twitter, réseau social thématique, etc.)

Les choix relatifs à chacune de ces composantes peuvent aboutir à des identités de différentes natures. Voici une typologie de différents positionnements non exclusifs les uns des autres. Chacune de ces identités aura une incidence sur ce que l’on veut mettre en avant sur le Web.

Cette identité porte l’image de la bibliothèque en tant qu’institution. Elle est représentée sur le Web par le logo de l’institution et le pseudonyme reprend le nom de la bibliothèque. Elle s’adresse d’abord aux usagers fréquentant le lieu et de manière plus large à la communauté des habitants du territoire où se situe la bibliothèque ou à celle des étudiants dans le cas d’une bibliothèque universitaire. Le site institutionnel est certainement le canal le plus approprié pour positionner cette identité sur le Web. Mais pas seulement. Elle peut également se décliner en blogues et en « profils institutionnels » sur des réseaux sociaux tels que Facebook ou Twitter. L’information diffusée est proche d’une communication institutionnelle visant à faire connaître les informations pratiques, à promouvoir les services, la programmation culturelle ou encore les contenus produits par la bibliothèque. Ces outils de dissémination sont un indéniable levier d’audience et de notoriété.

Parce qu’évidente, cette identité numérique est la plus largement adoptée. Si elle est exclusive à d’autres identités numériques, elle a l’inconvénient de porter l’institution en tant que telle et d’être peu lisible, hormis pour les publics sensibilisés sur un Web social dans lequel l’approche privilégiée est d’abord thématique et subjective et où partager les mêmes centres d’intérêt prime sur l’institution.

Certaines bibliothèques ont construit leur identité numérique non pas seulement sur l’institution, mais sur un service qui porte sa propre marque et possède son propre nom de domaine sur Internet. C’est le cas, par exemple, des services de questions-réponses à distance comme le Guichet du Savoir[161] pour la bibliothèque municipale de Lyon ou Eurêkoi[162] pour la Bpi, la Fédération Walonnie-Bruxelles et leurs réseaux de bibliothèques partenaires qui proposent une identité de service forte. Les institutions porteuses du projet apparaissent en second rideau dans une page de type « À propos ». Les bibliothécaires ne sont pas assimilés à des membres d’un équipement, mais bien à l’équipe qui rend le service perçu comme utile, d’où l’importance de publier les questions et les réponses pour mettre en avant ces compétences. Ce service peut être rendu sur un site dédié, mais une stratégie de communication peut être aussi déclinée sur plusieurs sites et réseaux sociaux. Par exemple, le service Eurêkoi a son propre site, mais est également présent sur les portails des bibliothèques partenaires ainsi que sur une page Facebook dédiée[163]. Cette présence Web ne s’adresse pas uniquement aux habitués des services de la bibliothèque, mais aussi aux internautes et usagers potentiels qui se heurtent à la fois aux problèmes de l’accès physique (horaires, amplitudes d’ouvertures, etc.) ou à l’idée tenace que la bibliothèque n’est pas forcément un endroit accessible. Ici, la bibliothèque s’adresse à ceux qui cherchent simplement à obtenir une réponse et ponctuelle à tout moment de la journée, une réponse personnalisée et de qualité. Une tentative de concurrencer l’effet « magique » des réponses offertes par les moteurs de recherche. L’identité de service est en cela très intéressante, car elle permet une grande lisibilité du service et de l’utilité sociale des bibliothécaires[164].

Il s’agit d’une identité destinée à diffuser des contenus à valeur ajoutée sur un thème. Le pseudonyme prend le nom d’un média à part entière avec une adresse URL propre et un logo spécifique. L’image de l’institution est donc portée sous l’angle des contenus proposés. Ainsi « l’influx[165] » est perçu d’abord comme un magazine Web sur l’actualité avant d’apparaître comme un service de la bibliothèque municipale de Lyon. Le magazine Web lyonnais propose d’apporter un éclairage ou un approfondissement sur une actualité locale, nationale ou internationale par des brèves, des dossiers de mise en contexte ou par la mise en exergue de 10 questions du « Guichet du savoir » autour d’un sujet d’actualité. Ce positionnement thématique facilite l’entrée dans les flux et permet d’acquérir une visibilité au sein des communautés d’intérêts qui s’animent sur le Web et sur les territoires. Sur ce point, la démarche adoptée par les médiathèques de Levallois-Perret (France) est exemplaire. Celles-ci déclinent leur identité thématique autour de quatre blogues avec des objectifs et des publics cibles clairement énoncés[166].

Tableau 4. Identités thématiques des médiathèques de Levallois-Perret

Blogue thématique Contenus Cibles
B.R.E.F De l’information et des ressources dédiées à l’emploi, la formation l’entreprise et l’orientation.

Des actualités sur le monde du travail, l’orientation scolaire et professionnelle, la formation.

Accent mis sur l’actualité qui concerne les Hauts-de-Seine.

Les usagers des bibliothèques.

Les lycéens, étudiants et adultes en insertion professionnelle des Hauts-de-Seine.

Cin’Eiffel Mettre en lumière la programmation annuelle de films projetés par le Cin’Eiffel à proximité de la bibliothèque Eiffel.

Des articles thématiques (réalisateurs, genres cinématographiques et histoire du cinéma).

Des actualités cinéma (critiques de films à l’affiche, festivals, cérémonies, etc.).

Valorisation les films disponibles à la vidéothèque ainsi qu’à la VOD en lien avec la programmation.

Usagers de la bibliothèque.

Les habituées du cinéma Eiffel de Levallois-Perret.

Les amateurs de cinéma sur le territoire et en ligne.

Déclic Musique Des articles pour favoriser la découverte de différents genres musicaux et mettre en valeur la programmation musicale de la bibliothèque pour élargir le public.

Des revues de concert, l’actualité musicale, des suggestions d’écoute et des listes de lecture thématiques avec intégration de ressources libres de droits.

Usagers de la bibliothèque.

Les amateurs de musiques sur le territoire et en ligne.

Liseur Chroniques et conseils de lectures tout support et tout public, Liseur vous fait partager ses coups de cœur, envies et redécouvertes de lectures, tant en matière de best-sellers que de leurs autres possibilités.

Des actualités littéraires (salons, naissances et décès, potins et parutions, prix) et culturelles en rapport avec l’écrit (rencontres expositions, théâtre).

Développer les centres d’intérêt propulsés en lien avec la programmation : l’animation « Variations littéraires » et salon du roman historique.

Usagers des bibliothèques.

Les amateurs de littérature sur le territoire en ligne.

Les visiteurs du salon du roman historique.

Ces dispositifs de flux thématiques ciblent un public considéré de manière globale. Un amateur de musique peut aussi bien appartenir à la communauté des usagers de la bibliothèque, qu’à celle des habitants du territoire dans lequel s’inscrit l’équipement, ou encore à celle de la communauté des internautes « amateurs de » qui s’anime sur le Web social. Chacune de ces communautés pouvant s’intégrer aux autres, la bibliothèque se positionne dans toutes les sphères d’usages possibles qu’elles soient tangibles ou numériques. Ainsi, il est possible de se libérer d’une segmentation exclusivement « démographique » des publics. Il ne s’agit plus de produire des contenus pour les adolescents ou pour un public en recherche d’emploi, mais de s’adresser à des personnes qu’elles soient jeunes ou âgées, abonnés, habitants ou internautes.

Il s’agit ici de positionner l’institution en retrait des agents qui la composent et de passer d’une logique désincarnée de l’institution à une logique incarnée de la bibliothèque. L’un des atouts considérables des bibliothèques sont les bibliothécaires. Il est donc important de se concentrer sur cette expertise et pas seulement sur ce qui se passe en leur sein. Ce positionnement recentre la fonction documentaire non pas simplement sur la ressource, ou le service, mais sur la « personne-ressource » à qui il faut s’adresser pour « accéder à » ou « être orienté vers ». Le bibliothécaire se positionne donc comme un médiateur de confiance et est repéré comme tel au sein des communautés qui s’animent sur les espaces physiques et numériques, à l’instar des bibliothécaires « geemiks » de la médiathèque de la Skema Business School à Lille qui ont chacune décliné sur les médias sociaux une identité personne-ressource forte sur une discipline enseignée. Celles-ci sont d’abord repérées par les étudiants comme des contacts de confiance impliqués dans leur communauté avant d’être perçus comme bibliothécaires. Cette individualisation peut se limiter à indiquer qui est le producteur du contenu sous la forme d’une signature ou d’un avatar humain au bas d’un article par exemple. On pourrait objecter que le risque d’un tel positionnement réside dans un lien avec des personnes en poste à un moment donné. Si la situation change, il faut alors reconstruire une identité numérique, ce qui peut être perturbant pour les usagers. Il est toutefois tout à fait possible d’imaginer une personne-ressource fictive à l’image de Miss Média à la bibliothèque municipale de Metz[167].

Rappelons que cette identité personne-ressource peut parfaitement se fondre au sein des trois autres identités numériques.

Ce positionnement est bien sûr le plus en phase avec les logiques subjective et sociale du Web, mais cette expression « subjective » n’est pas toujours bien assumée par les bibliothécaires. L’ancrage profond d’une conception française de l’agent public qui doit s’effacer devant l’institution garante de neutralité ainsi que plusieurs décennies de retrait derrière la collection font qu’il y a encore une grande hésitation des professionnels à mettre en avant leur expertise sur les contenus. Rappelons que le bibliothécaire ne s’exprime pas selon ses convictions personnelles ou une quelconque pression des utilisateurs, il s’inscrit dans un projet de politique publique.

Un positionnement stratégique est donc à définir. Deux types de démarches nécessairement poreuses peuvent être adoptées. L’une est à dominante « relation à l’usager », l’autre est à dominante « connaissances ». L’adoption d’une des deux dominantes devrait guider le choix de l’identité numérique de l’institution. Un choix qui sera déterminant dans l’élaboration d’un dispositif de médiation numérique des savoirs puisqu’il participera à la définition des types de services et contenus et à la sélection des outils utilisés. Ce qui importe est d’affirmer et d’assumer un positionnement stratégique.

La démarche « relation à l’usager » a pour objectif de faire connaître la bibliothèque, ses activités, ses ressources et d’offrir des services en ligne interactifs avec ses usagers. Le numérique apporte une visibilité supplémentaire et une accessibilité complémentaire. Le numérique ouvre des portes que la médiathèque locale physique ne peut faire. Là où la médiathèque physique est régie par la rareté (« ce qui est emprunté n’est pas disponible »), par la temporalité (« les heures d’ouverture par semaine sont déterminées ») et la localité (« c’est ici, pas nécessairement ailleurs »), la médiathèque numérique emprunte le chemin de l’abondance en répondant par la simultanéité (« plusieurs utilisateurs sur un même document ou une même page Web »), l’achronie (« tout est disponible tout le temps ») et l’atopie (« c’est disponible de partout »). Ainsi, la proximité physique de la bibliothèque peut sortir renforcée d’une telle démarche si celle-ci est pensée de façon à valoriser les services, les ressources disponibles et l’espace social que représente une bibliothèque. Le numérique n’affaiblit pas le service territorialisé, bien au contraire il en est l’un des leviers. Visant essentiellement les usagers réels et potentiels, les identités institutionnelles et de services sont ici opportunes et pourront se décliner à travers des dispositifs de flux, ponctuels ou passerelles[168].

La démarche à dominante « connaissance » vise à participer au nom de la bibliothèque à une communauté d’intérêts sur un thème proposé. Le public visé peut se recouper avec celui qui fréquente la bibliothèque, mais pas nécessairement. La pertinence et la qualité des contenus proposés sont donc essentielles. C’est la fonction cognitive de la bibliothèque et plus seulement sa seule fonction bibliothéconomique[169] qui est affirmée ici. Nous sommes ici dans une logique de médiation destinée à transmettre aux usagers des contenus à la fois disponibles à la bibliothèque et sur le Web. Il ne s’agit pas simplement de répondre à une demande, mais à partir de besoins documentaires repérés ou supposés de susciter la curiosité et d’engager le visiteur dans la découverte de nouvelles ressources et l’exploration d’un sujet. Il s’agit d’un véritable travail de sélection, de reformulation, de production de contenus, de mise en perspective et de mise en sens. L’image de la bibliothèque est portée sous l’angle des contenus proposés et complétée par l’affirmation subjective des bibliothécaires médiateurs[170]. C’est l’identité média-thématique qui ici est la plus pertinente et qui pourra également se décliner à travers des dispositifs de flux, ponctuels ou passerelles.

Ces approches stratégiques sont synthétisées par ce schéma qui croise à la fois les identités numériques et leur impact sur les publics cibles et sur les sphères physiques et numériques[171].

Figure 8. Une médiation globale

Si nous prenons comme exemple la volonté d’atteindre des communautés d’intérêts sur un thème précis, c’est l’identité thématique qui est la plus adaptée. D’autant que cette identité touche à la fois les usagers, la communauté locale des habitants et les communautés d’intérêts présentes aussi bien sur le territoire qu’en ligne.

Enfin, quelle que soit la démarche stratégique adoptée, il est nécessaire de cultiver l’identité numérique qui en découle pour qu’elle soit crédible aux yeux des publics ciblés. Alexandre Villeneuve précise quatre critères définissant cette crédibilité, soit la cohérence, la preuve, la connexion et l’historique[172] :

La cohérence : l’ensemble des résultats renvoie à une identité cohérente, sans dissonance ni contradiction. L’addition des commentaires d’internautes, du discours officiel, des éléments de contenu que l’on retrouvera sur Google ou Facebook doivent être au diapason, au service d’un seul message et d’une seule image.

La preuve : une identité numérique se prouve. Photographies, articles de presse, témoignages, contributions Wikipédia : si le réel n’est plus le premier lieu de l’identité, il reste source de preuve. On cherchera donc, le plus possible, à connecter les éléments identitaires à des preuves, relayées sur le net, qui confortent le discours. Une identité numérique vise ainsi à susciter la confiance des publics auxquels elle propose des contenus.

La connexion : une identité numérique contrôlée est nécessairement intégrée. Elle a trouvé sa place dans un univers de référence, qu’il s’agisse d’une industrie, d’un contexte politique, d’un groupe de passionnés… Elle est citée et ses contenus sont repris par des prescripteurs inscrits dans le même univers. Une identité numérique peut d’ailleurs s’étendre sur plusieurs « sphères » relationnelles, toutes reliées et cohérentes entre elles.

L’historique : le temps est le premier allié de la crédibilité numérique. L’identité numérique se construit jour après jour, au fil des interventions générées sur le Web, des connexions établies, des documents publiés. Lors d’une recherche, l’internaute découvrira non seulement le présent, mais aussi le passé d’une identité. Le Web n’oublie jamais rien : il nous offre ainsi l’occasion d’écrire une histoire et de façonner avec elle notre identité.

On le voit, l’élaboration d’identités numériques suppose des choix de positionnement qui doivent nécessairement s’articuler à une politique globale de communication de l’entité à laquelle la bibliothèque est rattachée, qu’il s’agisse par exemple d’un établissement ou d’une collectivité. La médiation numérique des savoirs ne saurait être assimilée à de la communication institutionnelle. Ce schéma permet de mieux comprendre l’articulation entre médiation et communication[173].

Figure 9. Articulation entre médiation numérique des savoirs et communication institutionnelle

.

Afin que la mise en place de dispositifs de médiation numérique ne se transforme pas en une activité gadget, elle doit être basée sur un projet qui repose sur des bases solides. Il nous semble important de partir des missions des bibliothèques, de les lier à des besoins documentaires et seulement ensuite de réfléchir à une stratégie de médiation avec des identités numériques et des dispositifs de médiation. Il est fondamental de ne surtout pas déconnecter ces dispositifs du lieu qu’est une bibliothèque.

Ce travail de réflexion peut s’appuyer sur cinq interrogations clés représentées ici sous forme d’une pyramide[174].

Figure 10. La pyramide d’un projet de médiation numérique des savoirs

Pourquoi?

Il s’agit de rappeler que ce projet de médiation numérique sert des missions de service public liées à l’information, la formation et la culture auxquelles s’ajoutent les enjeux de la littératie numérique.

Quoi?

Ce projet s’appuie sur des besoins documentaires exprimés ou non. Cela peut être « Découvrir un style musical », « Comprendre le droit du travail » ou encore « Apprendre une langue étrangère ». Bien entendu, ce besoin documentaire doit être affiné afin d’offrir une offre de dispositifs des plus appropriés. Pour reprendre l’exemple du besoin d’apprendre une langue étrangère, le projet ne sera pas le même selon les motivations perçues (voyages, études, primo-arrivants, etc.) ou le niveau de la cible perçue (débutant, confirmée, etc.).

Qui parle?

Des interrogations précédentes découle le choix stratégique de l’identité numérique avec laquelle la bibliothèque portera ces contenus : identité(s) thématique(s) ou institutionnelle? Voir le chapitre précédent qui traite cette question dans le détail.

Comment?

Il s’agit ici de déterminer le dispositif de médiation numérique qui sera mis en œuvre : dispositif de flux, dispositif ponctuel ou dispositif passerelle. Il pourra prendre la forme d’une page Facebook, d’une cartographie en ligne ou d’étiquettes avec code QR. Quoi qu’il en soit, l’outil ne sera jamais la finalité du projet. Il est choisi parce qu’il est le moyen technique le plus en adéquation avec le besoin repéré et les usages constatés au sein de la communauté visée. La question des usages possibles est fondamentale, car elle est la clé de l’appropriation des contenus proposés et de la dynamique de partage, voire de la participation dans certains cas. Ce choix influera également sur le type de dispositif à déployer en interne, notamment en matière de chaîne de validation et de publication des contenus. Il convient donc de bien qualifier en amont ses attentes afin que cet outil soit adapté au contexte du projet.

Quel sujet? Quels contenus?

C’est la question des contenus et des ressources qui seront proposés via le dispositif qui est posé ici. Ce travail essentiel de réflexion peut être conduit par un groupe projet constitué de bibliothécaires volontaires, d’usagers, d’éventuels partenaires et de responsables de services de l’organisation concernée. Parce qu’il ne peut y avoir de projet de médiation numérique des savoirs sans infrastructures, le directeur du service informatique doit participer à cette réflexion afin qu’il appréhende et comprenne mieux les demandes techniques. Ainsi, son regard est nécessaire dans le choix des moyens techniques. Il en est de même pour le responsable du service communication ne serait-ce pour qu’il valide la présence Web de la bibliothèque via des dispositifs satellites du portail institutionnel ou pour qu’il élabore une charte graphique. Enfin, à défaut de sa participation, l’élu doit être tenu informé de l’avancée du projet. Sans une volonté politique, un projet contiendra une part d’incertitude qui risque d’être dommageable a fortiori si celui-ci demande des moyens pour être conduit à terme.

Il est important enfin de faire un état des ressources humaines, matérielles et financières immédiatement disponibles et celles nécessaires pour mener à bien son projet. De même, déterminer les compétences mobilisables ou celles à acquérir afin de prévoir un plan de formation. Ces éléments vont déterminer le volume et la fréquence des publications, le type de contenus, le choix des outils de publication et de diffusion et, le cas échéant, élaborer un plan d’action d’accompagnement des bibliothécaires. Ces questions seront traitées plus loin.

Afin d’aider les bibliothécaires à mettre en œuvre des stratégies de médiation numérique des savoirs, on trouvera ci-après un outil destiné à rendre le plus clair possible le déploiement à partir d’un objectif évalué (besoin d’information répondant à la question : pourquoi?) un ensemble de dispositifs de médiation qui lui sont articulés. C’est l’ensemble des objectifs insérés dans une démarche répondant à la définition susmentionnée qui constitue une stratégie de médiation numérique des savoirs[175] [176].

Tableau 5. Matrice de la médiation numérique des savoirs (version vierge)
Tableau 6. Matrice de la médiation numérique des savoirs (version avec exemples)

 

Dans les actes de la conférence Enjeux politiques du document numérique[177], Marc Bassoni décrit le journalisme comme suit :

À l’heure de la rupture au sein du paradigme traditionnel, à l’heure du passage de la fonction de « passeur de nouvelles » à celle de co-médiation de connaissances, le journaliste ne peut plus s’arroger le titre de « touche à tout »; dans le champ de l’information à valeur ajoutée, sa spécialisation thématique participe désormais activement de son personal branding[178] et de sa crédibilité.

Sa connaissance du domaine de savoir considéré, ses repères sûrs autour des grands débats d’écoles et des figures-clés de la production de connaissances le conduisent non seulement à enrichir l’information qu’il délivre, mais également — et ceci est sans doute le plus important — à baliser le champ qui s’offre à l’entendement du public « non savant ». Il trie, il « filtre », il hiérarchise les données et les arguments; il « recommande » les résultats qui font consensus au sein des communautés expertes; il prend des précautions dans la reprise des arguments les plus controversés.

En d’autres termes, il nourrit cette démocratie « réputationnelle » qui permet aux savoirs, moyennant une médiation efficace, de peser sur les débats publics et d’éclairer la marche du monde.

De toute évidence, les enjeux liés à l’information et à la documentation et ceux du journalisme convergent. Ces métiers deviennent un art de la mise en perspective, de la construction d’une compréhension de l’information et de ce fait, investissent le champ de la médiation et de la création de connaissances. De même que le journaliste, le bibliothécaire devient curateur, éditeur et rédacteur de contenus — qu’il s’agisse de billets de blogues, de réponses aux questions des usagers ou même de dossiers d’actualité — avec le même souci de transmettre une information de qualité, de citer les sources et de confronter les informations et les savoirs entre eux. Bertrand Calenge parle de « filtre médiateur[179] » :

Là encore, la fonction de filtre est le maître mot, ce qui donne une étrange impression de cousinage avec la bibliothèque, dont la fonction de filtre est aujourd’hui essentielle : non une fonction de filtre au sens épurateur — enlever les scories —, mais un filtre médiateur — repérer et mettre en perspective les informations utiles aux publics. Et dans le journalisme comme dans la bibliothèque, c’est bien le professionnel qui est le cœur du réacteur de la médiation du savoir.

Mais cette convergence ne signifie pas pour autant fusion. Ces professionnels ne jouent pas le même rôle d’accompagnement social. Chacun d’entre eux fonctionne dans un écosystème qui a ses règles, ses publics, son histoire et sa déontologie propres. En clair, le public comme les institutions n’attendent pas d’eux la même gestion de l’information au service des mêmes populations. Et c’est peut-être ici la plus forte distinction entre le bibliothécaire et le journaliste : sa grande proximité avec les publics de son territoire et sa connaissance profonde de leurs besoins informationnels.

Autre distinction et pas des moindres : un bibliothécaire n’est pas un journaliste, il est un agent public soumis à certaines restrictions quant à la publication de contenus. Il doit respecter le principe de neutralité du service public, un devoir de réserve et une obligation de discrétion relative au service. Néanmoins, ces contraintes n’ont pas été conçues pour être une interdiction de la liberté d’opinion du bibliothécaire producteur. Celle-ci est d’ailleurs garantie par l’article 6 de la Loi du 13 juillet 1983 (France) portant droits et obligations des fonctionnaires[180]. Si le bibliothécaire crée des contenus éditoriaux en son nom, il le fait donc dans l’exercice de sa mission de service public. D’ailleurs, il ne peut revendiquer aucun droit d’auteur sur ces contenus produits pour la bibliothèque.

L’article L 131-3-1 du Code de la propriété intellectuelle[181] français modifié en 2006 est précis sur ce point :

Dans la mesure strictement nécessaire à l’accomplissement d’une mission de service public, le droit d’exploitation d’une œuvre créée par un agent [public] dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions reçues est, dès la création, cédé de plein droit à [la collectivité publique].

Ce projet éditorial s’organise autour de trois dispositifs indissociables : une ligne de curation de contenus, une charte des bonnes pratiques et un circuit de production et de validation des contenus.

Une ligne de curation de contenus

La ligne de curation est l’ensemble des règles définissant l’orientation des contenus repérés et l’ensemble des choix visant à assurer leur cohérence. En son absence, on peut vite dévier de l’objectif et se perdre dans des contenus dissonants ou répétitifs, sans lien les uns avec les autres. La ligne de curation est donc directement tributaire des choix adoptés lors de la réflexion sur le positionnement stratégique du projet et concerne aussi bien un portail qu’un blogue ou une page Facebook. Ce fil conducteur formalise les objectifs, les thématiques à traiter, les publics ciblés, les rythmes de publication ou encore la volonté d’interaction souhaitée. Elle détermine également le ton, le choix des angles et du traitement des sujets. Ces éléments-cadres permettent de donner des repères aux lecteurs, qui en associant l’identité adoptée par la bibliothèque à un style de contenu, un positionnement, continueront de suivre les publications avec un attachement plus fort. Cette ligne contribue fortement à fidéliser et à gagner en crédibilité auprès des communautés ciblées.

Sa rédaction peut être conduite par un comité éditorial rassemblant une partie du groupe projet, les bibliothécaires rédacteurs et curateurs potentiels et un responsable de la publication. Elle doit être aussi validée par la direction.

Une charte des bonnes pratiques

Pour aider les contributeurs, une charte des bonnes pratiques peut être adossée à cette ligne de curation des contenus. Cette charte fixe de manière concise les règles communes de curation et de rédaction. La difficulté étant de trouver un juste équilibre entre une nécessaire formalisation et la prise en compte de la créativité des contributeurs. Ainsi cette charte peut préciser à titre indicatif :

    • La politique de nommage des titres : explicite ou implicite?
    • Le chapeau résume les principales idées de l’article et donne envie de lire;
    • Le corps de texte : pas plus de x lignes par paragraphes…
    • Relancer la lecture du contenu par des intertitres : optionnel, obligatoire?
    • Les images sont légendées, sourcées, respectueuses du droit d’auteur…

Cette charte peut aussi préciser les bonnes pratiques de l’écriture Web :

    • Les hyperliens : politique de nommage, nombre de liens minimum dans un texte, définir les critères de choix des sites à lier;
    • Des contenus multimédias : au moins une image ou une vidéo, définir les critères de choix de ses documents multimédia;
    • Interactivité : les règles de réponses aux commentaires et autres sollicitations en ligne. Dans quels délais, avec quelle politique de modération?

La ligne de curation des contenus et la charte des bonnes pratiques ne sont jamais définitives. Ces documents de référence nécessitent des mises à jour régulières, car les contextes évoluent en permanence.

Une chaîne de production et de validation

Pour gérer efficacement l’enchaînement des activités d’un bout à l’autre de la chaîne de curation et de production de contenus, il convient de formaliser les différentes étapes du circuit et le rôle que tiendra chaque membre de l’équipe éditoriale. Ce processus ne doit pas être trop lourd ou trop administratif au risque de diminuer la réactivité nécessaire à un média Web et de freiner l’implication des bibliothécaires. À titre indicatif, ces étapes pourraient se découper ainsi :

    • Le choix des thèmes à traiter inspiré de la ligne éditoriale;
    • Identification des personnes-ressources dans l’équipe. Volontariat ou obligation?
    • Collecte des informations pour rédiger l’article;
    • La production du contenu par le bibliothécaire rédacteur via l’outil de publication, en portant attention aux règles d’écriture Web;
    • Le choix des illustrations multimédia;
    • Le contrôle du respect de la charte des bonnes pratiques rédactionnelle et validation du fond, de la forme, des aspects juridiques par le responsable de la publication;
    • La mise en ligne du contenu par ce dernier ou directement par le rédacteur après validation?

Ce circuit demande donc la coordination d’un responsable de publication. Via l’interface d’administration de l’outil de publication, il aura la gestion des contenus et des droits des contributeurs et assurera un contrôle de la conformité de ce qui est publié avec la charte. Il relancera, accompagnera si nécessaire l’équipe de rédacteurs, mais ne fera pas « à la place de » et veillera à ce que l’investissement temps-travail reste dans des proportions raisonnables. Pour toutes ces raisons, la légitimité de la personne qui assumera ce rôle au sein de l’équipe est fondamentale.

3.

Dans l’efflorescence des compétences, il en est de particulièrement professionnelles qui justifient qu’ici on recrute un informaticien, là un logisticien, et là un bibliothécaire. Pourquoi donc recruter spécifiquement des bibliothécaires? On ne le fait pas pour leurs talents d’animation ni leur rigueur comptable, mais bien parce qu’ils sont des spécialistes des contenus de savoir et de leur transmission. Tout cela n’est pas très différent de ce qu’on attendait du bibliothécaire il y a quatre-vingts ans, mais le champ des contenus à parcourir s’est énormément agrandi avec l’arrivée d’Internet[182].

Cette revalorisation de l’activité des bibliothèques autour de la médiation « des savoirs dans un monde où l’information est un flux et les ressources abondantes et fluctuantes transforme[nt] » en profondeur le métier de bibliothécaire. Indéniablement, de nouveaux savoirs et savoir-faire viennent se greffer aux compétences traditionnelles du bibliothécaire. Véronique Mesguish[183] indique qu’ils sont de diverses natures :

    • Compétences techniques : maîtriser et s’approprier les outils de publication, de diffusion, de recherche et de veille sur Internet; avec une bonne capacité d’adaptation tant ces outils évoluent rapidement;
    • Compétences rédactionnelles : savoir produire des contenus, écrire pour le Web, réaliser des documents synthétiques; savoir susciter le désir et favoriser la découverte;
    • Compétences relationnelles : savoir maîtriser l’interactivité en ligne et l’animation de communauté;
    • Compétences juridiques : des connaissances en matière de droits d’auteurs, du droit à l’image, du droit à citation, la maîtrise des licences libres telles que Creative Commons

Nous pouvons y ajouter :

    • Compétences informationnelles : savoir se repérer dans les flux d’information, réaliser un travail de veille et orienter le public dans un contexte « d’infobésité »; comprendre de façon critique le contenu et les outils des médias numériques;
    • Compétences plus stratégiques comme celles de maîtriser le contexte numérique et la compréhension des enjeux.

Le bibliothécaire médiateur apparaît comme un expert en contenus, à la fois producteur et curateur de contenus, médiateur de connaissance, facilitateur de la circulation et du partage de l’information et des savoirs. Bertrand Calenge continue :

Cette connaissance des contenus n’a fonctionnellement pas pour but d’amasser du savoir. Elle doit s’articuler avec une connaissance et une écoute des publics : connaissance des pratiques, prescience des attentes, préoccupations majeures. En effet, le public est pour les bibliothécaires la grille de lecture des savoirs qu’il arpente. Il lui faut sans relâche être à l’affût de ce qui préoccupe les gens, car c’est cela qui convoquera les savoirs auxquels il aura recours. Et tout cela, il doit le réaliser au niveau des publics qu’il sert : si c’est un public de savants, il devra se spécialiser pour pouvoir les satisfaire […]. Cette expertise dans les contenus et cette attention aux publics doivent se traduire par un souci élevé de l’écoute, du dialogue, de la compréhension de ses interlocuteurs. […] S’ouvrir, être curieux des intérêts des gens, sans condescendance, et rechercher ce qu’ils peuvent transmettre avant de vouloir leur transmettre[184].

Internaliser ces compétences au sein du service est un atout pour conserver la maîtrise des choix stratégiques effectués en matière de médiation numérique des savoirs. Il est donc nécessaire de reconnaître ces nouvelles compétences. La fonction de « bibliothécaire médiateur des savoirs » doit être inscrite dans les fiches de poste des agents concernés. Celle-ci précise les activités de production et de curation des contenus des agents ainsi que les savoirs, les savoir-faire et savoir-être requis pour les exercer. Cette révision des profils légitime les pratiques et donne aux encadrants des clés pour orienter un plan de formation professionnelle et individuelle auprès du service des ressources humaines qui dirigera l’agent vers des offres de formation proposée par les différents organismes de formation continue. Néanmoins, ces formations sont parfois source de frustration pour les bibliothécaires qui de retour dans leur équipement ont le sentiment que ces savoirs nouvellement acquis sont inadaptés aux réalités matérielles et organisationnelles de leur quotidien professionnel. Une mise en application d’autant plus difficile que l’agent se heurte parfois à une hiérarchie qui n’est pas suffisamment au fait des nouveaux savoir-faire inhérents au numérique. Parfois, c’est la même hiérarchie qui l’a autorisé à partir se former… Faute de mise en pratique, la connaissance acquise ne se transforme pas nécessairement en compétence. Précisons qu’il ne s’agit pas ici de remettre en cause l’intérêt de la formation continue qui, au-delà des savoirs transmis, demeure des moments essentiels de prise de hauteur hors des contraintes quotidiennes, de formalisation de connaissances diffuses et de précieux échanges avec d’autres professionnels. Néanmoins, l’effet « parenthèse enchantée » souvent constaté en fin de formation est ici interrogé.

Une des réponses est dans la mise en place d’un plan d’accompagnement vers une culture numérique professionnelle commune à destination de tout ou partie des professionnels des bibliothèques au sein d’une collectivité[185]. Espace de partage et de transfert — parfois informel — des savoir-faire métiers, la bibliothèque est ce lieu idéal pour immerger le professionnel dans une culture numérique concrète et inscrite dans un projet. Néanmoins, nous constatons bien souvent une acculturation au numérique des équipes très disparates. Nous devons être particulièrement attentifs à ce qu’il n’y ait pas un sentiment de clivage entre ceux qui sont en pointe et les autres. De même que nous devons être vigilants sur le fait qu’une culture numérique personnelle ne se traduit pas forcément par une culture numérique professionnelle. Un agent peut avoir un profil Twitter sans comprendre ce que sa bibliothèque pourrait faire sur ce réseau social. L’accompagnement de l’ensemble des équipes vers une vision commune et partagée des dispositifs de médiation numérique actuels et à venir est donc un préalable et un point névralgique dont dépend en grande partie la réussite des projets.

Ce plan d’accompagnement devra répondre à un double objectif. Un objectif opérationnel tout d’abord : la connaissance et la prise en main d’un outil, la compréhension des enjeux et du fonctionnement d’un projet dans lequel un agent est appelé à travailler, et un objectif d’acculturation professionnelle soit sur des thèmes abordant l’évolution des bibliothèques au sein d’un monde connecté, soit de manière plus contextualisée, sur un projet que l’établissement souhaite mettre en place. Quoi qu’il en soit, ces dispositifs d’accompagnement se déploient autour des trois éléments constitutifs d’une compétence professionnelle : le savoir, le savoir-faire, le savoir-être. Chaque élément vient compléter et nourrir l’autre.

Figure 11. Les composantes d’une compétence

Parfaitement adaptée à l’environnement professionnel de l’établissement, la mise en place de formations internes offre une souplesse organisationnelle évidente. Elles s’adaptent facilement aux contraintes de service de la bibliothèque. Il est possible également de démultiplier leur programmation autant de fois que nécessaire. Elle permet enfin d’éviter d’avoir à supporter un coût de formation externe trop élevé même si la dimension économique de la formation interne ne doit pas non plus être négligée puisque son coût se chiffre en temps de travail, souvent invisible dans un budget[186].

Cela peut être aussi un cycle de conférences internes concernant les enjeux du numérique dans la société du savoir et la place du bibliothécaire en son sein. Ainsi, le réseau des médiathèques de Valence Romans Sud Rhône Alpes programme un cycle annuel de quatre conférences internes relatives aux enjeux du numérique dans la société du savoir. La programmation est rattachée à la réalisation de projets et a pour objectif à la fois d’apporter une « hauteur » nécessaire à leur compréhension et à leur mise en œuvre, mais aussi d’aplanir les réticences éventuelles devant le sentiment de perte de contrôle que le numérique peut légitimement susciter. Il s’agit aussi de développer une terminologie et des concepts communs à tous, d’éveiller la curiosité, de susciter la réflexion et l’envie de savoir-faire.

Il est donc important de proposer en parallèle aux agents des ateliers de savoir-faire selon les besoins perçus et les demandes exprimés. Pragmatiques, ces ateliers permettent la maîtrise des outils et des fonctionnalités numériques nécessaires pour mettre en œuvre les projets de médiation numérique des savoirs. Ces ateliers internes peuvent être assurés par le bibliothécaire responsable du numérique, mais aussi par des bibliothécaires de l’équipe volontaires. Il s’agira ici de reconnaître leur domaine d’expertise et de valoriser leur volonté de transmettre des connaissances. En outre, ces ateliers contribuent à rassembler et à favoriser le dialogue entre agents de différents services, de différents lieux dans le cas d’un réseau de bibliothèques. Les échanges qui s’y nouent permettent de confronter les pratiques et les points de vue et d’avoir une meilleure connaissance des activités des autres. Le recours à un intervenant externe s’effectue lorsque l’établissement ne dispose pas de l’expertise en interne. Ce choix peut s’avérer très opportun. Un formateur externe est bien souvent un observateur de nombreuses bibliothèques et permet ainsi la transmission d’une culture numérique plus globale. Une manière de permettre à une équipe d’élargir son horizon professionnel, de comparer, de s’ouvrir vers l’extérieur.

La veille prend une dimension cruciale à l’heure où l’on va demander au bibliothécaire de produire des contenus intermédiaires valorisant des ressources Web sur un thème donné. C’est une activité qui doit être non seulement encouragée et facilitée, mais aussi formalisée via les fiches de profil de poste des agents impliqués dans des projets de médiation. Mais insuffler une pratique de veille au sein d’une équipe est un travail au long cours, difficile d’autant plus si celle-ci est menée de manière individuelle et sans une véritable connexion avec les projets de médiation des savoirs. Les tâches quotidiennes peuvent vite prendre le dessus sur l’activité de veille. La mise en place d’une veille partagée en interne est un outil d’accompagnement efficace et stratégique[187]. La veille partagée garantit la diffusion d’un même niveau d’information à tout un chacun et la compréhension partagée des enjeux. Elle facilite l’émergence d’idées ne venant plus des seuls encadrants et la mobilisation des bibliothécaires dans la réalisation de nouveaux projets. Les agents se sentiront d’autant plus concernés par l’information diffusée qu’ils en produisent eux-mêmes. De manière plus pragmatique, une veille collaborative peut être « une réponse à l’obstacle que représente le manque de temps[188] ».

La mise en œuvre d’un dispositif de veille collaborative en interne doit être systématisée et formalisée. Elle implique un réseau de veilleurs contributeurs et un coordinateur. C’est ce qu’explique Xavier Galaup dans un article intitulé La veille collaborative en bibliothèque[189]. Il suggère de répartir cette tâche de veille au sein de l’équipe avec obligation de restitution aux collègues, soit sous forme de simple signalement, soit sous forme de petite présentation de l’information repérée qui renvoie à l’article original. Il est important de préciser le périmètre de la veille et le rythme de la diffusion. Il s’agit également d’interroger collectivement la gestion du temps de veille pour ses contributeurs : faut-il privilégier des plages réservées dans un calendrier ou des « moments creux » pendant le temps de service public? Nous mesurons ici l’importance d’inscrire cette veille dans un projet de médiation numérique des savoirs. Le coordinateur accompagne, mobilise, relance et organise la diffusion de cette veille. L’envoi par messagerie interne n’est pas suffisant, car il ne permet pas un archivage disponible à tous. Les blogues, les services de partage de signets tels que Diigo ou de curation comme Storify? offrent un potentiel de capitalisation pertinent dans ce domaine par le truchement d’une catégorisation de l’information partagée, par son enrichissement via des tags, par son indexation par un moteur de recherche interne. Cette veille se transforme ainsi en base de connaissance commune utilisable par l’ensemble des agents. Il est important de considérer que de nombreuses bibliothèques ne peuvent mettre en place ce genre de dispositif de travail collaboratif et participatif par manque de moyens humains ou par manque de volonté. Il est donc essentiel d’ouvrir l’accès à cette veille partagée à la communauté globale des bibliothécaires. C’est ce que propose par exemple le réseau des bibliothèques publiques de Montréal avec le blogue Espace B[190] ou encore celui de Valence Romans Sud Rhône Alpes avec Face B[191]. Notons également la veille professionnelle des Médiathèques de Metz sur la plateforme Scoop.it[192].

Le numérique et ses nouveaux usages informationnels interrogent les formes que peut prendre l’organisation du partage des savoirs au sein de l’établissement. S’il n’est pas simple de faire circuler différemment les idées et les expériences au sein d’une organisation où les pesanteurs hiérarchiques sont réelles, nous pouvons néanmoins essayer d’organiser des moments plus « informels » où une pollinisation des savoirs est possible. On parle « pollinisation des savoirs[193] » quand le savoir acquis par un agent est diffusé par lui-même au sein de son collectif de travail[194], à l’image du monde végétal où les grains de pollen vont de plante en plante. Les ateliers de savoir-faire vus plus haut et animés par des agents sont une première forme de pollinisation des savoirs. Les non-conférences sont une autre piste possible. L’idée est d’éviter un ou plusieurs aspects d’une formation traditionnelle où les savoirs sont transmis du haut vers le bas par un expert. Le principe est plutôt de favoriser l’absence de spectateur au sein des participants. Les barcamps sont la forme la plus répandue de ces non-conférences[195]. Ces rencontres proposent des ateliers participatifs dont les contenus sont fournis par les participants eux-mêmes. Un « bibcamp » peut être organisé en interne au sein d’une bibliothèque. C’est le cas des Médiathèques du Pays de Romans qui ont organisé leur premier bibcamp en 2011. Tous les bibliothécaires pouvaient y proposer un atelier soit sur un outil numérique utilisé au quotidien, soit sur un thème qui concerne le numérique et les bibliothèques, soit encore sur une idée de médiation numérique. Le format était une présentation d’une quinzaine de minutes suivie d’un échange avec les collègues assistant à l’atelier. Chacun avait la liberté de choisir les ateliers selon ses centres d’intérêt.

Ces temps de partage permettent de capitaliser les savoirs et savoir-faire acquis au quotidien et de les rendre transmissibles, voire attrayants aux autres membres de l’équipe. Ils créent de l’envie, source du changement, mais surtout ils inscrivent les bibliothécaires dans une posture en phase avec les nouvelles formes de construction d’un savoir commun par la contribution et l’engagement de chacun. L’apprentissage est pensé comme un collectif apprenant plutôt qu’un agrégat de personnes formées. Mais surtout, ce dispositif permet de former à se former, de ne pas se reposer sur des demandes formation, former à l’expérimentation et à la prise de risques. La pollinisation des savoirs contribue ainsi à la professionnalisation des bibliothécaires en faisant des pratiques professionnelles des occasions d’apprentissages.

Il est évident que l’impulsion donnée aux projets numériques et aux dispositifs d’accompagnement associés viendra en partie des bibliothécaires-cadres de l’équipe. Leur implication passe par la participation aux dispositifs de formation que nous venons de décrire. Il s’agit de montrer par l’exemple que cette acculturation numérique concerne l’ensemble des agents et que chacun peut y participer, quelle que soit sa place dans l’organigramme. Leur présence valide aux yeux de l’équipe l’idée que la mise en place de projets numériques induit l’expérimentation, la prise de risques et que l’échec, partie prenante de ce processus, est source d’apprentissage et d’améliorations. De leur côté, les encadrants prennent la mesure des incidences organisationnelles d’un engagement pour un apport permanent de nouvelles connaissances et de nouvelles compétences qui inscrit la bibliothèque et ses agents dans un mouvement continu d’adaptation. Avancer en mode projet (agilité), apprendre par le faire et par pollinisation, révéler une expertise collective induisent un modèle d’organisation qui intègre une part d’horizontalité et de transversalité. C’est peut-être ici l’un des plus forts impacts du numérique sur les organisations.

À notre sens, les enjeux du métier de bibliothécaire se déplacent de la constitution et de la gestion de collections vers la conception de dispositifs de médiation. Les bibliothécaires doivent ainsi concevoir des interfaces, au sens large du terme, entre des contenus qu’ils n’ont pas nécessairement acquis et des personnes à qui ces contenus peuvent bénéficier. En d’autres termes, la « valorisation » des collections se transforme au point de devenir une activité centrale. Il s’agit de développer la capacitation des citoyens à partir de contenus qui vont bien au-delà de la collection initiale. La collection, qu’elle soit numérique ou tangible, ne disparaît pas, mais devient un des supports parmi d’autres de médiation des savoirs, au moyen de dispositifs passerelles, de flux ou ponctuels. Dans le cas de la collection numérique, nous avons montré que l’enjeu n’est pas dans la constitution de silos ou dans la facilitation de leurs accès — du point de vue des bibliothèques publiques sans fonds patrimoniaux —, mais plutôt de lutter contre ce qu’il faut bien appeler l’angoisse du choix dans l’abondance des contenus. Dans cette lutte, l’art de la liste et celle du titre accrocheur sont des armes d’une stratégie et d’une ligne de curation. Le choix des dispositifs doit viser à satisfaire un besoin d’information (tels apprendre une langue ou comprendre le droit du travail) en utilisant des outils adaptés (tels des dossiers numériques, des cartes heuristiques, des pages Facebook thématiques, des ajouts d’information au sein d’une communauté d’intérêts sur le Web, etc.) s’inscrivant dans des usages informationnels constatés (des recommandations personnalisées, ou encore la lecture de l’information en flux à travers un cercle relationnel inscrit dans un média social). Dès lors, il s’agit d’équilibrer les trois composantes d’un dispositif pour le rendre le plus efficace possible au regard de l’objectif de contribution à la diffusion des savoirs et des savoir-faire. Si elles ne nécessitent pas forcément d’investissements techniques lourds, les démarches de médiation numérique des savoirs supposent un temps humain de coordination et de facilitation indispensable. Elles supposent aussi une sensibilité au partage des savoirs que l’approche par les communs de la connaissance permet d’inscrire dans un mouvement qui dépasse de loin les bibliothèques. Au fond, l’enjeu est de saisir l’essentiel d’un « support de mémoire » pour le situer par rapport aux autres. Voilà qui a toujours été et qui est encore crucial comme le rappelle Pierre Bayard dans Comment parler des livres qu’on a pas lu?[196]

La culture est la capacité à situer les livres dans la bibliothèque collective et à se situer à l’intérieur de chaque livre – fait qu’il est à la limite pas nécessaire d’avoir eu en main les livres dont on parle pour s’en faire une idée et l’exprimer, et que l’idée de lecture finit par se dissocier de celle du livre matériel, pour renvoyer à celle de rencontre laquelle peut tout à fait s’opérer avec un objet immatériel.

Ce dont il est question n’est plus de livres, ni de supports de mémoire, mais de la mémoire elle-même. À cet égard, Internet ne fait que rendre plus évidente la nécessité de cette double orientation non plus seulement dans les livres, mais dans les médias sociaux, dans les communautés, dans les propulseurs, dans les conversations, dans les flux, dans les mots, dans les idées. C’est bien la raison pour laquelle il n’est pas question de rejeter Internet comme un détournement de l’attention, mais au contraire de s’y insérer pour les mêmes raisons que celles qui font que le bibliothécaire de Musil a voulu être bibliothécaire. Et Pierre Bayard de mettre l’accent sur l’oubli dans le mouvement des flux incessants :

C’est de délecture dont il faudrait alors parler à la suite de Montaigne, pour qualifier ce mouvement incessant d’oubli des livres dans lequel nous sommes entraînés : un mouvement fait à la fois de disparition et de brouillages des références, qui transforme les livres, souvent réduits à leur titre ou à quelques pages approximatives en ombres vagues glissant à la surface de notre conscience. […] Lire ce n’est pas seulement s’informer c’est aussi — et peut-être surtout — oublier, et c’est donc se heurter à ce qui est oubli en nous.

Cette délecture n’est pas exactement déconnexion, mais oubli temporaire de soi, oubli sélectif qui dé-dédramatise l’angoisse de l’infobésité très présente aujourd’hui. Lire un livre ou naviguer sur le Web c’est nécessairement oublier ce qu’on a lu. Veiller, c’est presque un sport de combat, c’est nécessairement jouer avec des flux pour se jouer d’eux; l’économie de l’attention porte en creux une économie de l’oubli, tout comme la lecture de livres. Tout l’enjeu est de faire en sorte de construire des mécanismes et des relations capables d’assurer des « bibliothèques intérieures » pour les jeunes générations qui « lisent des images » et des mots sur l’écran de manière beaucoup plus intense que leurs aînés. L’enjeu c’est de permettre la construction de références appropriées en communs. Au fond, l’angoisse de la non-lecture et celle de l’infini du Web cache chez bon nombre d’entre nous celle de l’éclatement de la « bibliothèque intérieure commune » alors même que l’information numérique en décuple le potentiel.

Le bibliothécaire n’a rien du super-lecteur tel que l’homme de la rue l’imagine : celui qui lit tout ce qu’il achète et se coupe du monde par amour des livres. À l’inverse, le bibliothécaire n’est pas non plus l’imposteur qui n’a pas lu les livres qu’il propose ni le méprisable ignorant qui n’en maîtrise aucun contenu. Il est celui qui s’est suffisamment repéré sur un thème pour être capable de mettre en relation et d’outiller ceux qui le connaissent très bien ou qui veulent le connaître. À ce titre, il se distingue de l’amateur et agit à ses côtés parce qu’il n’agit pas pour sa propre culture, mais met sa subjectivité au service de la constitution d’une « vue d’ensemble ». La particularité de la non-lecture du bibliothécaire de Musil est en effet que son attitude n’est pas passive, mais active. Si de nombreuses personnes cultivées sont non lecteurs et si, à l’inverse de nombreux non-lecteurs sont des personnes cultivées, c’est que la non-lecture n’est pas l’absence de lecture. Elle est une véritable activité qui consiste à s’organiser par rapport à l’immensité des contenus pour ne pas se laisser submerger par eux. À ce titre, elle mérite d’être défendue et même enseignée.

  1. Les Echos, « Pourquoi Facebook menace déjà Google », LesEchos.fr, 25 novembre 2010. [Consulté le 23 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.lesechos.fr/25/11/2010/LesEchos/20812-062-ECH_pourquoi-facebook-menace-deja-google.htm.
  2. Olivier Ertzscheid, « Ingénieries de la sérendipité », affordance.info, 3 février 2010. [Consulté le 23 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.affordance.info/mon_weblog/2010/02/ingenieries-de-la-serendipite.html.
  3. Christophe Aguiton et Dominique Cardon, “The Strength of Weak Cooperation: An attempt to Understand the Meaning of Web2.0”, Communications & Strategies, n°65, 1st quarter 2007, p. 51-65.
  4. Dominique Cardon, « Réseaux sociaux de l’Internet », Communications, n° 88, janvier 2011, p. 141-148. [En ligne] : www.cairn.info/revue-communications-2011-1-page-141.htm.
  5. Antonio Negri et Michael Hardt, Multitude : guerre et démocratie à l’âge de l’empire, Paris, La Découverte, 2004.
  6. Elihu Katz et Paul Felix Lazarsfeld, Personal Influence, the Part Played by People in the Flow of Mass Communications, (s. l.), Transaction Publishers, 1966.
  7. Selon Lazarsfeld, seuls 5 % des électeurs seraient influencés par les médias de masse (mass medias), un nombre bien moins important que ceux qui se laissent influencer par les amis, collègues, frères, sœurs, etc. Les leaders d’opinion se reconnaissent au fait qu’ils sont de gros consommateurs d’information et qu’ils sont reconnus comme des personnes d’influence au sein de la communauté à laquelle ils appartiennent.
  8. Bertrand Calenge, Les bibliothèques et la médiation des connaissances, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2015.
  9. « Elinor Ostrom », Wikipédia, 8 juillet 2016. [Consulté le 23 juillet 2016]. [En ligne] : <https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Elinor_Ostrom&oldid=127693958&gt;.
  10. Pierre Dardot et Christian Laval, Commun essai sur la révolution au XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2014.
  11. Jeremy Rifkin, François Chemla et Paul Chemla, La nouvelle société du coût marginal zéro : l’Internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme, Paris, Éditions Les Liens qui Libèrent, 2014.
  12. Pablo Servigne, « Six outils pour faire vivre les biens communs », Reporterre, le quotidien de l’écologie, 30 mai 2013. [Consulté le 23 juillet 2016]. [En ligne] : <https://reporterre.net/Six-outils-pour-faire-vivre-les-biens-communs&gt;.
  13. VECAM, Libres savoirs: les biens communs de la connaissance : produire collectivement, partager et diffuser les connaissances au XXIe siècle, Caen, C&F Éditions, 2011.
  14. « Licence publique générale GNU », Wikipédia, 18 juillet 2016. [Consulté le 23 juillet 2016]. [En ligne] : <https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Licence_publique_g%C3%A9n%C3%A9rale_GNU&oldid=127942622&gt;.
  15. Creative Commons France. Faire… sans contrefaire. [Consulté le 23 juillet 2016]. [En ligne] : <http://creativecommons.fr/&gt;.
  16. The Power of Open. [Consulté le 23 juillet 2016]. [En ligne] : http://thepowerofopen.org/.
  17. « Définitions des licences Creative Commons », auboutdufil. [En ligne] : http://www.auboutdufil.com/index.php?id=352. (Traduit et modifié de la source : http://foter.com/blog/how-to-attribute-creative-commons-photos/)
  18. « Wikipédia : Statistiques », Wikipédia, 9 juillet 2016. [Consulté le 23 juillet 2016]. [En ligne] : https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Wikip%C3%A9dia:Statistiques&oldid=127720290.
  19. « Conditions d’utilisation », Wikimedia Foundation, 16 juin 2014. [Consulté le 23 juillet 2016]. [En ligne] : https://wikimediafoundation.org/wiki/Terms_of_Use/fr.
  20. Sofian Fanen, « Filippetti va lancer une mission sur les échanges non-marchands », Libération, 20 juin 2013. [Consulté le 7 septembre 2017]. [En ligne] : http://www.liberation.fr/ecrans/2013/06/20/filippetti-va-lancer-une-mission-sur-les-echanges-non-marchands_955854?page=article.
  21. Sur ce sujet voir Lionel Dujol (dir.), Communs du savoir et bibliothèques, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2017, Collection Bibliothèques.
  22. Framalang, « Sortie du livre La renaissance des communs de David Bollier », Framablog, 3 février 2014. [Consulté le 1er septembre 2017]. [En ligne] : https://framablog.org/2014/02/03/livre-la-renaissance-des-communs-david-bollier/.
  23. calimaq, « Transformer les bibliothèques en “Maisons des Communs” sur les territoires », – S.I.Lex –, 31 mars 2017. [En ligne] : https://scinfolex.com/2017/03/31/transformer-les-bibliotheques-en-maisons-des-communs-sur-les-territoires/.
  24. Lionel Dujol, « La bibliothèque, une maison des communs du savoir », La bibliothèque apprivoisée, 30 mai 2017. [En ligne] : https://labibapprivoisee.wordpress.com/2017/05/30/la-bibliotheque-une-maison-des-communs-du-savoir/.
  25. Silvère Mercier, « Identifier les enclosures informationnelles pour favoriser les apprentissages en réseau, Bibliobsession, mis à jour le 9 mai 2012. [Consulté le 4 janvier 2017]. [En ligne] : http://www.bibliobsession.net/2012/05/09/identifier-les-enclosures-informationnelles-pour-favoriser-les-apprentissages-en-reseau/.
  26. Silvère Mercier, « Ressources numériques : des trésors derrière des forteresses », Bibliobsession, mis à jour le 23 mars 2011. [Consulté le 4 janvier 2017]. [En ligne] : http://www.bibliobsession.net/2011/03/23/comment-les-bibliotheques-sepuisent-a-rendre-des-forteresses-seduisantes/.
  27. Olivier Ertzscheid, « Lutter contre les enclosures de demain », affordance.info, 10 avril 2014. [Consulté le 4 janvier 2017]. [En ligne] : http://www.affordance.info/mon_weblog/2014/04/lutter-contre-les-enclosures-de-demain.html.
  28. Benjamin Sonntag, « Communautés privées : Légalisez les partages hors marché ! », Benjamin Sonntag Blog, 23 août 2012. [Consulté le 23 juillet 2016]. [En ligne] : https://benjamin.sonntag.fr/Communautes-privees-Legalisez-les-partages-hors-marche.
  29. « P2P Foundation », P2P Foundation. [Consulté le 23 juillet 2016]. [En ligne] : https://p2pfoundation.net.
  30. « Peer Production License », P2P Foundation. [Consulté le 23 juillet 2016]. [En ligne] : https://wiki.p2pfoundation.net/Peer_Production_License.
  31. « Creative Commons », Flickr. [Consulté le 23 juillet 2016]. [En ligne] : https://www.flickr.com/creativecommons/.
  32. Daniel Pennac, Comme un roman, Paris, Gallimard, 1992.
  33. Chris Anderson, « La Longue Traîne », InternetActu.net, traduit par Hubert Guillaud, mis à jour le 26 septembre 2005. [Consulté le 23 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.internetactu.net/2005/04/12/la-longue-traine/.
  34. Chris Anderson, « The Long Tail », The Long Tail, 11 décembre 2009. [Consulté le 23 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.longtail.com/the_long_tail/.
  35. Chris Anderson et Michel Le Séac’h. Free! Entrez dans l’économie du gratuit, Paris, Pearson-Village mondial, 2009.
  36. Silvère Mercier, « Les libraires et le Market place d’Amazon : carte heuristique en html! », Bibliobsession, mis à jour le 16 janvier 2007. [Consulté le 23 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.bibliobsession.net/2007/01/16/les-libraires-et-le-market-place-d-amazon-carte-heuristique/.
  37. Chris Anderson, La longue traîne: la nouvelle économie est là!, Paris, Village mondial, 2007.
  38. Bernard Lahire, La culture des individus : dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La Découverte, 2004.
  39. Marianne Lumeau et Thierry Clémence, « La demande de livres de fiction en bibliothèques », Réseaux, no 190‑191, juin 2015, p. 275‑298. doi: 10.3917/res.190-191.0275
  40. Marianne Lumeau et Thierry Clémence, « La demande de livres de fiction en bibliothèques », Réseaux, no 190‑191, juin 2015, p. 275‑298. doi: 10.3917/res.190-191.0275
  41. Silvère Mercier, « Un livre recommandé par un bibliothécaire a 17 fois plus de chance d’être emprunté », Bibliobsession, mis à jour le 22 mars 2016. [En ligne] : http://www.bibliobsession.net/2016/03/22/livre-recommande-bibliothecaire-a-17-plus-de-chance-detre-emprunte/.
  42. Le système des jetons est un système de licence qui décompte un jeton correspondant à un achat ou un prêt.
  43. Thierry Crouzet, « La désintégration du marché du livre », tcrouzet.com, 20 février 2014. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://tcrouzet.com/2014/02/20/la-desintegration-du-marche-du-livre/.
  44. Hubert Guillaud, « Pourquoi la longue traîne ne marche pas? », La Feuille, 24 juin 2016. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://lafeuille.blog.lemonde.fr/2014/06/24/pourquoi-la-longue-traine-ne-marche-pas/.
  45. Xavier de la Porte, « #pdlt : L’attention, une valeur culturelle et sociale », InternetActu.net, 20 septembre 2010. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.internetactu.net/2010/09/20/pdlt-lattention-une-valeur-culturelle-et-sociale/.
  46. Silvère Mercier, « L’Horizon d’attente et la sérendipité… », Bibliobsession, mis à jour le 3 octobre 2016. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.bibliobsession.net/2006/10/03/serendipite-un-concept-de-bibliothecaire/
  47. Hans Robert Jauss, Claude Maillard et Jean Starobinski, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 2001.
  48. Bruno Dartiguenave, « Bibliothèque et autodidaxie », Bulletin des bibliothèques de France, no 3, 2002. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2002-03-0036-005.
  49. Marie-Charlotte Perrier, « Qu’est ce que le concept de la seringue hypodermique? », La seringue hypodermique. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : https://laseringuehypodermique.wordpress.com/quest-ce-que-le-concept-de-la-seringue-hypodermique/.
  50. Kim Christian Schröder, « Vers une convergence de traditions antagonistes? Le cas de la recherche sur le public », Persée. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.persee.fr/doc/reso_0751-7971_1990_num_9_44_1812
  51. ADBS, « Ressource électronique », L’association des professionnels de l’information et de la documentation. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.adbs.fr/ressource-electronique-18512.htm?RH=OUTILS_VOC.
  52. « Freemium », Wikipédia, 23 juin 2016. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Freemium&oldid=127292400.
  53. Silvère Mercier, « Compenser le prêt des livres dans les bibliothèques : une logique perverse! », Bibliobsession, mis à jour le 23 octobre 2015. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.bibliobsession.net/2013/03/21/de-la-pseudo-necessite-de-compenser-le-pret-des-livres-dans-les-bibliotheques/.
  54. Hadopi, « Carnets de consommation », Hadopi, 26 juin 2013. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : https://www.hadopi.fr/actualites/actualites/carnets-de-consommation
  55. Korben, « HipHop – Un clone de PopCorn Time mais pour la musique », Korben. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://korben.info/hiphop-clone-popcorn-time-musique.html
  56. Silvère Mercier, « Quelle transparence des algorithmes des catalogues de bibliothèques? », Bibliobsesssion, mis à jour le 19 mars 2016. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.bibliobsession.net/2014/04/29/quelle-transparence-des-algorithmes-des-catalogues-de-bibliotheques/
  57. Antonio A. Casilli, « Contre l’hypothèse de la “fin de la vie privée”, la négociation de la privacy dans les médias sociaux », Revue française des sciences de l’information et de la communication, no 3, juillet 2013. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : https ://rfsic.revues.org/630
  58. Élaboration d’Antonio A. Casilli. Sources : Public Broadcasting System http://www.pbs.org/mediashift/2011/02/timeline-facebooks-stormy-relationship-with-privacy039.html Electronic Privacy Information Center https ://epic.org/privacy/socialnet/ www.Europe-v-Facebook.org; Timeline of Social Networking Privacy Incidents (Cyberspace Law Committee, California Bar, 13 juillet 2010 : http://cyberprimer.files.wordpress.com/2010/07/social-networking-privacy-incidents-timeline.pdf)
  59. Casilli, loc. cit.
  60. Raphaëlle Bats, Construire des pratiques participatives dans les bibliothèques, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2015.
  61. Jason Price, Demand vs Pre-Selected Ebook Usage. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://fr.slideshare.net/jpricein/demand-vs-preselected-ebook-usage
  62. Louise Merzeau, « De la bibliothèque à l’Internet : la matrice réticulaire », in Thomas Boccon-Gibod, Cristina Ion et Éric Mougenot (dir.), Robert Damien, du lecteur à l’électeur. Bibliothèque, démocratie et autorité, BnF Éditions/Presses de l’Enssib, 2017. [En ligne] : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01546684.
  63. Olivier Ertzscheid, « Les 5 moments de l’écriture en réseau : les moteurs comme scripteurs », affordance.info, 22 février 2011. [En ligne] : http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2011/02/les-5-moments-ecriture-web-reseau.html.
  64. Hubert Guillaud, « Pourquoi les avis négatifs ont-ils un impact positif sur les ventes? », InternetActu.net, 28 septembre 2011. [Consulté le 5 septembre 2017]. [En ligne] : http://www.internetactu.net/2011/09/28/pourquoi-les-avis-negatifs-ont-ils-un-impact-positif-sur-les-ventes/
  65. Philippe Axel, « Hadopi : et maintenant la licence ou la licence? », Le Monde, 24 juillet 2012. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/07/24/hadopi-et-maintenant-la-licence-ou-la-licence_1737241_3232.html
  66. La Quadrature du Net, « Culture et Internet : le vrai rapport », La Quadrature du Net, 10 mai 2013. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.laquadrature.net/fr/culture-et-internet-le-vrai-rapport
  67. Séverine Bavon, Olivier Billaud, Ioana Dragomirescu, Hélène Ovsepian, Bich-Thu Vi et Inès Zallouz, Licence Globale, Étape 3, 2011. [Consulté le 1 septembre 2017]. [En ligne] : http://controverses.sciences-po.fr/archive/licenceglobale/index-13833.php
  68. Philippe Aigrain, « La contribution créative : le nécessaire, le comment et ce qu’il faut faire d’autre », Communs / Commons, 14 mai 2009. [Consulté le 1 septembre 2017]. [En ligne] : http://paigrain.debatpublic.net/?p=871
  69. Yves, Jeanneret, « Médiation », La société de l’information : glossaire critique, Paris, La Documentation française, 2005.
  70. Du latin vicarius qui signifie remplaçant. Voir Silvère Mercier, « L’apprentissage vicariant comme dynamique de changement social? », Bibliobsession, mis à jour le 13 mai 2014. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.bibliobsession.net/2011/10/06/lapprentissage-vicariant-comme-dynamique-de-changement-social/
  71. « Curation de contenu », Wikipédia, 12 juillet 2017. [En ligne] : https://fr.wikipedia.org/wiki/Curation_de_contenu
  72. Jaques Roder, « Places et mobilité des tuteurs dans un digital learning », Innovation Pédagogique, 30 mai 2016. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.innovation-pedagogique.fr/article659.html
  73. Médiathèque de Lorient, Je ne sais pas quoi lire. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.jenesaispasquoilire.net/indexJNSPQL.html
  74. Jacques Rodet, « Places et mobilité des tuteurs dans un digital learning », Blog de t@d, le réseau du tutorat à distance, 23 mai 2016. [En ligne] :  http://blogdetad.blogspot.ca/2016/05/places-et-mobilite-du-tuteur-dans-un.html
  75. Hubert Guillaud, « Julie Denouël et Fabien Granjon : Les usages en question », InternetActu.net, 15 juin 2011. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.internetactu.net/2011/06/15/julie-denouel-et-fabien-granjon-les-usages-en-question/
  76. Jacques Rancière, Le maître ignorant: cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle, Paris, Fayard, 10/18, 1987.
  77. Olivier Ertzscheid, « Le prof de la génération mutante », affordance.info, 19 octobre 2011. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.affordance.info/mon_weblog/2011/10/le-prof-numerique.html
  78. Bertrand Calenge, Les bibliothèques et la médiation des connaissances, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2015.
  79. Roger T. Pédauque, Le document à la lumière du numérique, Caen, C & F Éditions, 2006.
  80. Laurence Rey, « L’étonnante plasticité des compétences professionnelles et la bibliothèque numérique », Bulletin des bibliothèques de France, no 4, 2011. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2011-04-0084-003
  81. Eurekoi – Complice de votre curiosité [En ligne] : http://www.eurekoi.org
  82. Réseau des médiathèques de Lorient, Je ne sais pas quoi lire. [En ligne] : http://www.jenesaispasquoilire.net/indexJNSPQL.html
  83. Bertrand Calenge, Les bibliothèques et la médiation des connaissances, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2015.
  84. « Le modèle de 7 P », Wikipédia, 6 août 2017. [En ligne] : https://fr.wikipedia.org/wiki/Marketing_mix#Le_mod.C3.A8le_des_7_Ps_.281980.29
  85. Antonio A. Casilli, « Trois idées reçues sur Internet », Sciences Humaines, 7 juillet 2011. [Consulté le 2 septembre 2017]. [En ligne] : https://www.scienceshumaines.com/trois-idees-recues-sur-internet_fr_27529.html
  86. Silvère Mercier, « Médiation numérique des savoirs et marketing public : différences et complémentarités », Bibliobsession, mis à jour le 6 septembre 2017. [En ligne] : http://www.bibliobsession.net/2017/06/28/mediation-numerique-savoirs-marketing-public-differences-complementarites
  87. Valérie Peugeot et Conseil national du numérique, « Citoyens d’une société numérique – Accès, littératie, médiations, pouvoir d’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion – Rapports publics », La Documentation française. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/134000802/index.shtml
  88. Olivier Le Deuff, La culture de l’information en reformation, Sciences de l’Homme et Société, Université Rennes 2, 2009. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00421928/document
  89. Valérie Peugeot, « Données personnelles : sortir des injonctions contradictoires », SavoirsCom1, 15 avril 2014. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.savoirscom1.info/2014/04/donnees-personnelles-sortir-des-injonctions-contradictoires/
  90. Divina Frau-Meigs, « La radicalité de la culture de l’information à l’ère cybériste », E-dossier de l’audiovisuel : L’éducation aux cultures de l’information, INA. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.ina-expert.com/e-dossier-de-l-audiovisuel-l-education-aux-cultures-de-l-information/la-radicalite-de-la-culture-de-l-information-a-l-ere-cyberiste.html
  91. ADBU, « Référentiel de compétences informationnelles pour réussir son parcours de formation dans les établissements d’enseignement supérieur », dans calameo.com, Édition 2012. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.calameo.com/read/0020941243908e7791f54.
  92. Web Literacy – Mozilla Learning. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : https://learning.mozilla.org/web-literacy.
  93. Hubert Guillaud, « Enseigner le code à l’école ? Vraiment? », InternetActu.net, 23 avril 2014. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.internetactu.net/2014/04/23/enseigner-le-code-a-lecole-vraiment/
  94. HabiloMédias, « Les fondements de la littératie numérique », HabiloMédias. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://habilomedias.ca/principes-fondamentaux/quest-ce-que-leducation-aux-medias
  95. Céline Arènes, « Quelques mots sur le design thinking », Liber, libri, m : livre, 16 mai 2016. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.cecilearen.es/2016/05/quelques-mots-sur-le-design-thinking/.
  96. Nicolas Beudon, « Le design thinking en bibliothèque », Le Recueil Factice. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://lrf-blog.com/design/&gt;.
  97. Biblio Remix, « Le projet », Biblio Remix. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : https://biblioremix.wordpress.com/le-projet/
  98. Raphaëlle, Bats, Construire des pratiques participatives dans les bibliothèques, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2015.
  99. « The Great Good Place (Oldenburg) », Wikipédia, 12 juin 2017. [Consulté le 1 septembre 2017]. [En ligne] : https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=The_Great_Good_Place_(Oldenburg)&oldid=785253764
  100. Silvère Mercier, « À lire : les bibliothèques troisième lieu, par Mathilde Servet », Bibliobsession, mis à jour le 19 mai 2009. [Consulté le 1er septembre 2017]. [En ligne] : http://www.bibliobsession.net/2009/05/19/a-lire-les-bibliotheques-troisieme-lieu-par-mathilde-servet/
  101. Movilab, « Étude de la configuration en Tiers-Lieu – La repolitisation par le service », Movilab.org. [Consulté le 28 août 2017]. [En ligne] : http://movilab.org/index.php?title=Etude_de_la_configuration_en_Tiers-Lieu_-_La_repolitisation_par_le_service
  102. Association des bibliothécaires de France, « Charte du droit fondamental des citoyens à accéder à l’information et aux savoirs par les bibliothèques », Association des Bibliothécaires de France, mis à jour le 22 février 2016. [Consulté le 23 août 2016]. [En ligne] : http://www.abf.asso.fr/6/46/537/ABF/charte-du-droit-fondamental-des-citoyens-a-acceder-a-l-information-et-aux-savoirs-par-les-bibliotheques
  103. Hubert Guillaud, « Innovation, innovation, innovation, innovation, innovation, innovation… », InternetActu.net, 25 mars 2016. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.internetactu.net/2014/03/25/innovation-innovation-innovation-innovation-innovation-innovation/
  104. ILFA, « Lancement de la déclaration de Lyon sur l’accès à l’information et au développement », IFLA World Library and Information Congress, 18 août 2014. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.ifla.org/past-wlic/2014/FR/ifla80/node/669.html
  105. Marie Martel, « La Déclaration de Lyon sur l’accès à l’information et le développement : Un discours drôlement ficelé », Bibliomancienne, 2 septembre 2014. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : https://bibliomancienne.com/2014/09/02/la-declaration-de-lyon-sur-lacces-a-linformation-et-le-developpement-un-discours-drolement-ficele/
  106. Sylvain Allemand, « L’égalité pour quoi faire? », Sciences Humaine, 1er octobre 2000. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : http://www.scienceshumaines.com/l-egalite-pour-quoi-faire_fr_787.html
  107. « Droits culturels », Wikipédia, 25 avril 2016. [Consulté le 24 juillet 2016]. [En ligne] : https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Droits_culturels&oldid=125583973
  108. Patrice Meyer-Bisch, « La valorisation de la diversité et des droits culturels », Cairn.info. [Consulté le 28 août 2017]. [En ligne] : https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2008-2-page-59.htm
  109. Silvère Mercier, « Médiation numérique : le guide pratique des dispositifs », Bibliobsession, mis à jour le 22 septembre 2012. [En ligne] :  http://www.bibliobsession.net/2012/05/04/mediation-numerique-le-guide-pratique-des-dispositifs/.
  110. Julien Mahoudeau, Médiation des savoirs et complexité: le cas des hypermédias archéologiques et culturels, Ingenium, Paris, L’Harmattan, 2006.
  111. Gilber Simondon et Nathalie Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, nouvelle édition revue et corrigée, Philosophie. Paris, Aubier, 2012.
  112. « BnF Gallica », Facebook. [Consulté le 17 décembre 2016]. [En ligne] : https://www.facebook.com/GallicaBnF.
  113. « GallicaBnF (@GallicaBnF) », Twitter. [Consulté le 17 décembre 2016]. [En ligne] : https://twitter.com/gallicabnf?lang=fr.
  114. Bibliothèque nationale de France, « Gallica », Gallica. [Consulté le 17 décembre 2016]. [En ligne] : http://gallica.bnf.fr/.
  115. L’équipe@GallicaBnF, « Une bibliothèque numérique sur les réseaux sociaux : L’exemple de Gallica », Bulletin des bibliothèques de France, no 5, 2012. [En ligne] : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2012-05-0031-007.
  116. « Du côté des Gallicanautes », BnF Gallica. [Consulté le 17 décembre 2016]. [En ligne] : http://gallica.bnf.fr/html/und/du-cote-des-gallicanautes.
  117. « L’e-music box, musique en Limousin », Bfm de Limoges. [Consulté le 17 décembre 2016]. [En ligne] : http://www.lemusicbox.bm-limoges.fr/.
  118. « L’e-music Box », Facebook. [Consulté le 17 décembre 2016]. [En ligne] : https://www.facebook.com/lemusicbox/.
  119. « lemusicbox (@lemusicbox) », Twitter. [Consulté le 17 décembre 2016]. [En ligne] : https://twitter.com/lemusicbox?ref_src=twsrc%5Etfw
  120. Pauline Moirez, « Bibliothèques, crowdsourcing, métadonnées sociales », Bulletin des bibliothèques de France, n° 5, 2013, p. 32-36. [En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2013-05-0032-007.
  121. « The Commons », Flickr. [Consulté le 17 décembre 2016]. [En ligne] : https://www.flickr.com/commons.
  122. « Flickr Bibliothèque de Toulouse », Flickr. [Consulté le 17 décembre 2016]. [En ligne] : https://www.flickr.com/photos/bibliothequedetoulouse/.
  123. Jocelyne Deschaux et Patrick Hernebring, « Les réseaux sociaux : le Fonds Trutat de la Bibliothèque municipale de Toulouse sur Flickr », in Christelle Di Pietro, Produire des contenus documentaires en ligne: quelles stratégies pour les bibliothèques?, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2014.
  124. Google Maps. [Consulté le 17 décembre 2016]. [En ligne] : https://www.google.fr/maps/@45.0590867,5.2064841,15z.
  125. OpenStreetMap France. [Consulté le 17 décembre 2016]. [En ligne] https://openstreetmap.fr/.
  126. Timetoast timeline maker. Make a timeline, tell a story. [Consulté le 17 décembre 2016]. [En ligne] : https://www.timetoast.com/.
  127. Outils de présentation en ligne | Prezi. [Consulté le 17 décembre 2016]. [En ligne] : https://prezi.com/fr/.
  128. Storify – Create stories using social media. [Consulté le 17 décembre 2016]. [En ligne] : https://storify.com/.
  129. YouTube. [Consulté le 17 décembre 2016]. [En ligne] : https://www.youtube.com/.
  130. Dailymotion. [Consulté le 17 décembre 2016]. [En ligne] : http://www.dailymotion.com/fr.
  131. Dispositifs de médiation numérique, MindMeister. [Consulté le 17 décembre 2016]. [En ligne] : https://www.mindmeister.com/fr/153648606?title=dispositifs-de-m-diation-num-rique.
  132. Lionel Dujol, « Des documents, des contenus, des machines, des hommes et des QR codes », La bibliothèque apprivoisée, 1er février 2011. [En ligne] : https://labibapprivoisee.wordpress.com/2011/02/01/des-documents-des-contenus-des-machines-des-hommes-et-des-qr-codes/.
  133. Lionel Dujol, « Un exemple de projet de médiation globale dans les Médiathèques du Pays du Romans », La bibliothèque apprivoisée, 2 juin 2011. [En ligne] : https://labibapprivoisee.wordpress.com/2011/06/02/un-exemple-de-projet-de-mediation-globale-dans-les-mediatheques-du-pays-du-romans/.
  134. Silvère Mercier, « Médiation : les verdicts des médiathèques de Massy », Bibliobsession, mis à jour le 29 avril 2013. [En ligne] : http://www.bibliobsession.net/2013/04/29/mediation-les-verdicts-des-mediatheques-de-massy/.
  135. Silvère Mercier, « Médiation : les verdicts des médiathèques de Massy », Bibliobsession, mis à jour le 29 avril 2013. [En ligne] :  http://www.bibliobsession.net/2013/04/29/mediation-les-verdicts-des-mediatheques-de-massy/.
  136. « Ziklibrenbib », Ziklibrenbib. [Consulté le 18 décembre 2016]. [En ligne] : http://www.acim.asso.fr/ziklibrenbib.
  137. Silvère Mercier, « Ziklibrenbib – retour d’expérience #mednumsavoirs 3 sur 6 », Bibliobsession, mis à jour le 14 octobre 2016. [En ligne] : http://www.bibliobsession.net/2016/10/14/ziklibrenbib-retour-dexperience-mednumsavoirs-3-6/.
  138. « Doob solutions numériques de partage culturel pour les médiathèques », doob, 2017. [En ligne] : https://doob.fr/doob-en-mediatheque/.
  139. « BiblioBox – La Bibliobox permet d’échanger des contenus librement! », BiblioBox. [Consulté le 18 décembre 2016]. [En ligne] : http://bibliobox.net/.
  140. Frédéric Souchon, « Faire vivre les ressources numériques dans la bibliothèque physique. Le cas des bibliothèques universitaires », Enssib, janvier 2014. [Consulté le 17 décembre 2016]. [En ligne] : http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/64182-faire-vivre-les-ressources-numeriques-dans-la-bibliotheque-physique-le-cas-des-bibliotheques-universitaires.pdf.
  141. Conférence de Patrick Bazin, directeur de la Bibliothèque publique d’information, le vendredi 10 février 2012 à l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, organisée par le CRFCB et les étudiants de master : http://www.abf.asso.fr/fichiers/file/Auvergne/Conf%C3%A9rencePatrickBazin.pdf.
  142. Charles Leadbeater, Paul Miller et Demos, The pro-Am Revolution: How Enthusiasts Are Changing Our Society and Economy, London, Demos, 2004.
  143. David Sandoz, « Repenser la médiation culturelle en bibliothèque publique : participation et quotidienneté », Enssib, janvier 2010. [Consulté le 18 décembre 2016]. [En ligne] : http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/notices/48311-repenser-la-mediation-culturelle-en-bibliotheque-publique-participation-et-quotidiennete
  144. Raphaëlle Bats, Construire des pratiques participatives dans les bibliothèques, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2015.
  145. Marie Martel, « Ce que participer veut dire », Bibliomancienne, 26 août 2013. [En ligne] : https://bibliomancienne.com/2013/08/26/ce-que-participer-veut-dire/
  146. Lionel Dujol, « La bibliothèque, un espace de participation », 29 mars 2015. [En ligne] : http://fr.slideshare.net/hulot/la-bibliothque-un-espace-de-participation-v2.
  147. R. David Lankes est professeur et directeur de l’école de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Caroline du Sud.
  148. R. David Lankes, « Beyond the Bullet Points: Bad Libraries Build Collections, Good Libraries Build Services, Great Libraries Build Communities », R. David Lankes, 11 mars 2012. [En ligne] : http://davidlankes.org/?p=1411.
  149. Damien Day, « Enjeux, état des lieux et dynamiques de participation en bibliothèques », Enssib, janvier 2014. [Consulté le 18 décembre 2016]. [En ligne] : http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/notices/64226-enjeux-etat-des-lieux-et-dynamiques-de-participation-en-bibliotheques.
  150. « Whats on the menu? », The New York Public Library. [Consulté le 18 décembre 2016]. [En ligne] : http://menus.nypl.org/.
  151. « NYPL Labs », The New York Public Library, 2017. [Consulté le 18 décembre 2016]. [En ligne] : https://www.nypl.org/collections/labs.
  152. « NYPL Labs : Stereogranimator », The New York Public Library, 2017. [Consulté le 18 décembre]. [En ligne] : http://stereo.nypl.org/.
  153. « NYPL Map Warper: Home », The New York Public Library, 2017. [Consulté le 18 décembre 2016]. [En ligne] : http://maps.nypl.org/warper/.
  154. OldNYC. [Consulté le 18 décembre 2016]. [En ligne] : http://www.oldnyc.org/.
  155. L’océrisation est la transformation automatique d’un fichier contenant l’image d’un document en fichier texte. Le terme océrisation dérive de l’abréviation OCR, Optical Character Recognition, c’est-à-dire en français « reconnaissance optique des caractères ».
  156. Everitouthèque. [Consulté le 18 décembre 2016]. [En ligne] : http://everitoutheque.viabloga.com/.
  157. Médiathèques Pays de Romans, « Médiathèques Pays de Romans on Prezi », prezi.com. [Consulté le 18 décembre 2016]. [En ligne] : https://prezi.com/user/biblioromans/.
  158. calimaq, « Le Centre Pompidou Virtuel : ouvert ou « sous verre »? », – S.I.Lex –, 11 octobre 2012. [En ligne] : https://scinfolex.com/2012/10/11/le-centre-pompidou-virtuel-ouvert-ou-sous-verre/.
  159. « Photographes en Rhône-Alpes ». [Consulté le 18 décembre 2016]. [En ligne] : http://numelyo.bm-lyon.fr/include/babelyo/app/01ICO001/&gt;.
  160. Olivier Ertzscheid. Qu’est-ce que l’identité numérique? : Enjeux, outils, méthodologies, Marseille, OpenEdition Press, 2013, Collection Encyclopédie numérique. [En ligne] : http://books.openedition.org/oep/332.
  161. Le Guichet du Savoir. [Consulté le 18 décembre 2016]. [En ligne] : http://www.guichetdusavoir.org/.
  162. Eurêkoi, « Vos bibliothécaires répondent à vos questions en moins de 72 h, service gratuit et ouvert à tous », Eurêkoi – Complice de votre curiosité [Consulté le 18 décembre 2016]. [En ligne] : http://www.eurekoi.org/.
  163. « Eurêkoi », Facebook. [Consulté le 18 décembre 2016]. [En ligne] : https://www.facebook.com/eurekoi/.
  164. Jérôme Pouchol, Mutualiser les pratiques documentaires: bibliothèques en réseau, Presse de l’Enssib, 2017.
  165. Bibliothèque municipale de Lyon, « L’influx – Le webzine qui agite vos neurones », L’influx, le webzine qui agite les neurones. [Consulté le 18 décembre 2016]. [En ligne] : http://www.linflux.com/.
  166. Silvère Mercier, « Politique de médiation numérique des savoirs – Médiathèques de Levallois-Perret #mednumsavoirs 1 sur 6 », Bibliobsession, mis à jour le 10 octobre 2016. [En ligne] : http://www.bibliobsession.net/2016/10/10/politique-de-mediation-numerique-savoirs-mediatheques-de-levallois-perret-mednumsavoirs-1-6/.
  167. Bibliothèques-médiatiques de Metz, « Le blog de Miss Média – Bibliothèques-Médiathèques de Metz », Le blog de Miss Média. [Consulté le 18 décembre 2016]. [En ligne] : http://missmediablog.fr/.
  168. Voir le chapitre « Qu’appelle-t-on un dispositif de médiation numérique? ».
  169. Emmanuèle Payen, « Action culturelle et production de contenus », Bulletin des bibliothèques de France, no 1, 2011. [En ligne] : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2011-01-0020-004.
  170. Voir le chapitre sur la définition de la médiation numérique et plus particulièrement sur celle de la curation de contenus.
  171. Silvère Mercier, « Le schéma de la médiation globale », Bibliobsession, mis à jour le 18 juin 2012. [En ligne] : http://www.bibliobsession.net/2012/06/18/la-schema-de-la-mediation-globale/.
  172. Édouard Fillias, Alexandre Villeneuve et Pierre Kosciusko-Morizet. E-réputation stratégies d’influence sur Internet, Paris, Ellipses, 2012.
  173. Silvère Mercier, « Communication et médiation dans les bibliothèques », Bibliobsession, mis à jour le 15 juin 2011. [En ligne] : http://www.bibliobsession.net/2011/06/25/communication-et-mediation-dans-les-bibliotheques-de-quoi-parle-t-on/.
  174. Silvère Mercier, « La pyramide d’un projet de médiation numérique », Bibliobsession, mis à jour le 6 mai 2011. [En ligne] :  http://www.bibliobsession.net/2011/04/08/la-pyramide-dun-projet-de-mediation-numerique/.
  175. Silvère Mercier, « La matrice de la médiation numérique des savoirs », Bibliobsession, mis à jour le 11 juin 2017. [En ligne] : http://www.bibliobsession.net/2017/06/12/matrice-de-mediation-numerique-savoirs/.
  176. Silvère Mercier, « La matrice de la médiation numérique des savoirs », Bibliobsession, mis à jour le 11 juin 2017. [En ligne] : http://www.bibliobsession.net/2017/06/12/matrice-de-mediation-numerique-savoirs/.
  177. Évelyne Broudoux et Ghislaine Chartron (dir.), Enjeux politiques du document numérique : Actes de la troisième conférence, Document numérique et société, « Documents, contenus numériques : politique en question », Aix-en-Provence, 15-16 novembre 2010, Sciences et techniques de l’information, Paris, ADBS éditions, 2010.
  178. Le marketing personnel, ou personal branding est le fait de gérer les compétences d’une personne, ses valeurs et sa valeur ajoutée pour son public professionnel, son positionnement et son image. « Marketing personnel », Wikipédia, 11 décembre 2016. [En ligne] : https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Marketing_personnel&oldid=132594065.
  179. Bertrand Calenge, Les bibliothèques et la médiation des connaissances, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2015, p. 65.
  180. Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Loi dite loi Le Pors. [Consulté le 18 décembre 2016].
  181. Loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information. [Consulté le 18 décembre 2016].
  182. Bertrand Calenge, Les bibliothèques et la médiation des connaissances, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2015, p.64.
  183. Véronique Mesguich, « Construire la médiation numérique par les publics : les portails thématiques de l’Infothèque », in Xavier Galaup (dir.), Développer la médiation documentaire numérique, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2012, collection Boîte à outils; 25, 228 p.
  184. Bertrand Calenge, Les bibliothèques et la médiation des connaissances, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2015, p.65.
  185. Christophe Pérales, Conduire le changement en bibliothèque: vers des organisations apprenantes, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2015.
  186. Hind Bouchareb, La formation continue des personnels de bibliothèque universitaire au numérique. État des lieux et perspective, Enssib, janvier 2013. [Consulté le 19 décembre 2016]. [En ligne] : http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/60354-la-formation-continue-des-personnels-de-bibliotheque-universitaire-au-numerique-etat-des-lieux-et-perspectives.pdf.
  187. Marie-Madeleine Géroudet, « Veille stratégique, stratégie de veille », in Christophe Pérales, Conduire le changement en bibliothèque : vers des organisations apprenantes, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2015, p.37-48.
  188. Marie-Madeleine Géroudet, « Veille stratégique, stratégie de veille », in Christophe Pérales, Conduire le changement en bibliothèque : vers des organisations apprenantes, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2015, p.37-48.
  189. Xavier Galaup, « La veille collaborative en bibliothèque », XG_BlogNotes, 22 mars 2007. [En ligne] : http://www.xaviergalaup.net/la-veille-collaborative-en-bibliotheque/.
  190. Bibliothèques publiques de Montréal, Espace B, le blogue des bibliothèques de Montréal, 2017. [En ligne] : http://espaceb.bibliomontreal.com/&gt;.
  191. Médiathèques Valence Romans Agglomération, Face B. [En ligne] : http://faceb.viabloga.com/.
  192. Bibliothèques-Médiathèques de Metz, « Veille professionnelle des Bibliothèques-Médiathèques de Metz », Scoop.it!. [En ligne] : http://www.scoop.it/t/veille-des-bibliotheques-mediatheques-de-metz.
  193. C-Campus, « De la transmission à la pollinisation des savoirs », Le blog de C-Campus, 30 décembre 2013. [En ligne] : http://www.blog-formation-entreprise.fr/de-la-transmission-a-la-pollinisation-des-savoirs/.
  194. C-Campus, « 7 principes pour favoriser la pollinisation des savoirs », Le blog de C-Campus, 19 mai 2014. [En ligne] : http://www.blog-formation-entreprise.fr/titre-provisoire&gt;.
  195. « BarCamp », Wikipédia, 18 mars 2016. [En ligne] : https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=BarCamp&oldid=124468676.
  196. Pierre Bayard, « Comment parler des livres que l’on n’a pas lus? », Les Éditions de minuit, 2007. [Consulté le 1er septembre 2017]. [En ligne] : http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Comment_parler_des_livres_que_l_on_n_a_pas_lus__-2514-1-1-0-1.html.